Léonard, né esclave à Basse-Terre (Guadeloupe) en 1807 devient progressivement Léonard SÉNÉCAL, un homme libre qui affronte le système colonial. Dépassant les pièges de l’hagiographie habituelle et partant d’une étude minutieuse des sources documentaires, l’auteur nous expose les ressorts cachés d’un système colonial avant et après l’abolition de 1848. Les luttes que livrent SÉNÉCAL et les insulaires de Guadeloupe conduisent ORUNO D. LARA à réviser notre perception de la France coloniale pendant la seconde moitié du XIXe siècle.
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Je me suis longuement investi dans l’étude d’un personnage, Léonard SÉNÉCAL, un régisseur d’une habitation domaniale de Baillif en Guadeloupe, ancien esclave affranchi, franc-maçon, accusé et condamné en cours d’Assises de Basse-Terre aux travaux forcés à perpétuité en octobre 1851.
Surveillé par la police sur les ordres du gouverneur LAYRLE au moment de l’abolition de l’esclavage en mars-avril-mai 1848, SÉNÉCAL a pris la tête d’un mouvement de contestation du système colonial et revendique avec ses amis une réappropriation de l’Histoire : ils veulent inciter les « nouveaux libres » à lutter pour arracher leur indépendance. Leur modèle est l’ancienne colonie de Saint-Domingue devenue Haïti après une lutte armée contre la France, la puissance coloniale. Observons que la France perd aux Caraïbes sa première guerre coloniale en 1802-1803.
Le gouvernement français dépêche contre Léonard SÉNÉCAL et ses amis un gouverneur à poigne, le colonel FIÉRON, des forces militaires et navales. Le président Louis BONAPARTE nomme en mai 1849 un procureur général, RABOU, chargé de se rendre en Guadeloupe et de neutraliser Léonard SÉNÉCAL. Condamné, emprisonné puis envoyé en Guyane pour purger sa peine dans les bagnes ouverts de 1852 à 1862, échappant à la mort quasi miraculeusement, SÉNÉCAL réussit à quitter la Guyane et à se réfugier en Haïti avec une partie de sa famille.
Les luttes de Léonard SÉNÉCAL et de ses amis de Guadeloupe s’effectuent dans un contexte colonial marqué par l’occupation militaire et le système répressif organisé par le colonel FIÉRON. Le gouverneur en effet a mobilisé, pour réduire la colonie, tous les moyens de contrôle dont il disposait : police, gendarmerie (à pieds et à cheval), armée, infanterie de marine, bâtiments de guerre de la station navale, l’appareil judiciaire (cours militaires et cours civiles) et les geôles coloniales. Mal défendu par un avocat aux ordres de l’administration coloniale, victime d’accusations mensongères manipulées par le procureur général acharné à sa perte, Léonard SÉNÉCAL n’a aucune chance d’échapper à l’état de siège proclamé en mai 1849. Ses amis ont dû quitter l’archipel et partir se réfugier au Venezuela, à Cuba ou en Haïti avec leurs familles pour échapper au massacre : condamnations à mort par décapitation à la hache.
Les objectifs de l’administration coloniale – associée aux colons planteurs békés – sont de terroriser la population de l’archipel pour l’obliger à se soumettre au nouveau système colonial prévoyant l’assimilation. Ce système fondé sur le second esclavage découle des mesures prises pour favoriser « l’oubli du passé », l’existence face à face des planteurs békés, anciens propriétaires esclavagistes et des nouveaux libres. Il doit permettre aux forces gouvernementales de soumettre les travailleurs libres aux exigences d’un marché du travail contrôlé par les békés.
Extrait: partie des débats et témoignages qui eurent lieu au cours du procès de Léonard SÉNÉCAL
…La seconde fois que je l’entendis, c’était à propos de la plantation de l’arbre de la liberté : il disait aux nègres qui l’entouraient : ‘Mes amis, jurons de verser jusqu’à la dernière goutte de notre sang pour la défense de notre liberté’.
(…)
Le procureur général, sachant que sa ligne d’accusation est fragile, élargit le champ : le prévenu n’est pas seulement le centre du complot, il est un dangereux criminel qui vise à entraîner les cultivateurs dans le cadre du socialisme et du communisme. Il suffit à RABOU d’évoquer un mot très à la mode à cette époque, emprunté à Charles FOURIER :
‘ Ainsi, nous voilà, avec SÉNÉCAL, arrivés au phalanstère. C’est une preuve nouvelle que dans les colonies il ne s’agit plus, comme on voudrait le faire croire à la France, de ces antipathies de couleur, de ces haines de castes qui furent si longtemps une cause de division profonde. Phalanstère, socialisme, communisme, quel que soit le nom dont elle s’empare, quel que soit le masque dont elle se couvre, c’est la démagogie toute pure qui est venue s’implanter sur le sol de la Guadeloupe ; c’est la guerre de ceux qui n’ont rien contre ceux qui possèdent. C’est, pour résumer en un mot la situation, l’ordre d’un côté et de l’autre l’anarchie.
J’ai dressé un dossier de cette affaire SÉNÉCAL en rassemblant une documentation du procès et des pièces tirées de son dossier personnel dans un gros ouvrage :
O.D.L., GUADELOUPE. LE DOSSIER SÉNÉCAL.
Voyage aux sources de notre indépendance avec trois escales : Martinique, Guyane, Haïti.
Éditions du CERCAM, 2012, cercam@wanadoo.fr
Cet ouvrage, qui reprend toutes les pièces du dossier de l’affaire SÉNÉCAL, décrit en filigranes la Guadeloupe du XIXe siècle et montre clairement comment s’est posée, en 1848, la question de la réappropriation de la force de travail des ouvriers agricoles, de la réappropriation de leur identité. Comment se pose enfin le problème fondamental : l’indépendance de la Guadeloupe ?
En 1848 les choses sont claires. Il y a d’une part la catégorie des « anciens libres », c’est-à-dire les nègres affranchis avant l’abolition du 27 avril 1848 qui prône en général une assimilation avec les colons blancs. Leur idéal politique c’est la nation française.
D’autre part, il y a les « nouveaux libres », ces nouveaux affranchis qui sortent du système esclavagiste en revendiquant et en se réappropriant leur force de travail, leur identité, leur nationalité et leur indépendance. Ce sont eux ces nouveaux libres qui ont des comptes à régler avec les maîtres esclavagistes qui les ont suppliciés, torturé et ont été les victimes de tous ces sévices qui apparaissent au grand jour dans la presse coloniale de 1848. Ce sont ces populations qui mettent à leur tête Léonard SENECAL pour arracher l’indépendance de la Guadeloupe.
Par ORUNO D. LARA
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