Sully Quay: “Il existe un aspect universel dans la cruauté des relations entre les hommes”

par Acèle Nadale
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Un prisonnier sans étoile - Interview Sully Quay

Dans son roman Un prisonnier sans étoile, Sully Quay nous transporte à travers des époques tumultueuses et des territoires marqués par l’Histoire, dépeignant les luttes et les résiliences d’un chirurgien togolais confronté aux préjugés et à l’oppression. Ce récit, qui s’étend des rives du Togo à l’agitation de Chicago, puis au cœur de Paris sous l’occupation nazie, pose un regard sur les thèmes universels de l’amour, de la souffrance et de la survie. Au fil des pages, Quay tisse une trame où la mémoire et l’humanité se croisent. Cette interview nous offre un aperçu des inspirations et des intentions de l’auteure derrière le roman.

 

Le roman Un prisonnier sans étoile aborde des périodes dramatiques de l’histoire comme l’esclavage, la ségrégation raciale, l’occupation allemande et l’Holocauste. Quelles ont été vos découvertes les plus surprenantes lors de vos recherches ?

Un prisonnier sans étoile traverse effectivement différentes périodes lourdes de l’histoire où la cruauté humaine est à son paroxysme. Aucune période ne m’a bouleversée plus que les autres ; elles m’ont toutes profondément marquée et troublée. Je me demandais sans cesse comment l’homme peut infliger tant de mal, comment il peut soumettre ses semblables à de telles souffrances abjectes, ignobles et inhumaines. Je ne cessais d’être envahie par des sentiments de révolte, de tristesse, voire d’impuissance. Toutes ces interrogations et ces ressentis m’ont servi de vecteurs pour assouvir mon besoin, mon désir d’écriture. Je voulais transmettre, rappeler ce travail de mémoire si important. « La mémoire, ce passé au présent », pour reprendre les mots de François Chalais.

 

Sylvana est le personnage qui ouvre le roman. Elle est née d’une histoire d’amour interdite entre son père Sylvestre, chirurgien togolais, et sa mère Ana, traductrice allemande sous l’occupation nazie en France. Quelles leçons souhaitez-vous que les lecteurs tirent de son parcours ?

Sylvana est, en effet, le personnage qui ouvre et clôt le roman. Avec elle, la boucle est bouclée. Bien qu’elle puisse paraître incarner le péché et le mal, il en est tout autrement. Sylvana ouvre les portes de l’espoir et de l’espérance chez l’être humain. Elle incarne la tolérance, représente l’amour et symbolise l’acceptation de l’autre, quel qu’il soit. Son parcours est un voyage initiatique, allant de sa candeur enfantine à l’âge adulte. Un cheminement dont le lecteur est témoin. Elle accompagne son père Sylvestre et sa mère Ana jusqu’au bout de leur route. Sylvana est le lien entre l’Afrique et l’Europe. Elle montre que tout nous lie. Elle incarne la solution à l’horreur humaine.

 

Le personnage central, Sylvestre, est un homme brillant qui jouit d’une position sociale privilégiée, car il est un chirurgien de talent. Cependant, il traverse des périodes et des lieux historiquement chargés de racisme et de conflits. Quelle était votre intention en créant ce personnage ?

Il m’était essentiel de montrer que l’Afrique est un continent regorgeant de ressources. Il était important que les lecteurs, d’où qu’ils viennent, réalisent que nombre d’Africains sont lettrés, éduqués et peuvent accéder à toute forme de richesse.

D’un point de vue humain, il existe un aspect universel dans la cruauté des relations entre les hommes. Sylvestre, un togolais noir, endure les mêmes souffrances que toutes les victimes du nazisme. Les douleurs, les supplices que subit Sylvestre dans les camps sont identiques à ceux endurés par les Juifs.

Les remords qu’il éprouve face au sort des esclaves sont des sentiments universels. Il n’a d’autre option que d’y faire face et de souffrir de l’histoire de sa famille, vivant avec et rejetant simultanément les doctrines esclavagistes.

Il subit également le racisme aux États-Unis puis en France, un état de fait dont il ne peut se défaire, mais qui ne l’empêche pas de tracer son chemin et de poursuivre ses objectifs de vie.

Sylvestre est un homme à la fois victime et coupable. Sujet et souverain. Il est rendu plus fort par ses expériences. L’adversité et la résilience l’aideront à se construire. Ses expériences le rendent plus fort. L’adversité et la résilience l’aideront à se construire. Je voulais sensibiliser les lecteurs à cela et aussi leur dire que baisser les bras n’est pas une option.

Résister. Toujours !

 

Vous avez plusieurs casquettes : humoriste, comédienne et professeure d’anglais. Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire ?

La vie et l’envie de ne pas laisser place à la vacuité sont les raisons pour lesquelles je me suis décidée à prendre la plume. Tout a commencé un peu par hasard. Je ne me destinais aucunement à l’écriture. Jamais je ne me serais crue capable d’écrire un jour.

Puis, un début d’expatriation peu enjoué au début des années 2010 a fait que j’ai commencé à coucher mes pensées sur le papier, ainsi que mes ressentis et mes joies concernant ma vie de femme expatriée. J’ai observé mes pairs aussi et fait une introspection de mon parcours comme celui d’autres femmes sur « Nos vies ailleurs ». (C’est le titre de mon prochain roman à paraître début d’été 2024 aux éditions l’Atelier des cahiers). J’ai commencé à écrire en anglais des petits billets, des textes jusqu’au jour où j’ai compris que cela pouvait former un tout, un roman. Je me suis donc mise à l’écriture plutôt par hasard puis j’y ai pris goût.
Et surtout, ce fut une catharsis. Ensuite, un sujet en amène un autre…

 

Comment décririez-vous votre processus d’écriture ? Avez-vous des rituels ou des habitudes qui vous aident à rester créative et productive ?

Je n’ai pas de rituel particulier. Je n’ai pas de rythme non plus. J’essaye de me voler du temps pour écrire et ce n’est pas toujours évident. Je suis très occupée et aspirée par ma profession de professeure d’anglais. Ce n’est pas toujours facile de prendre le temps pour écrire.
Lorsque j’écrivais Un prisonnier sans étoile, je n’avais pas d’endroit de prédilection. Je pouvais écrire tranquillement à mon bureau, comme je pouvais écrire à une terrasse de café, dans le métro, la voiture (en tant que passagère) le temps d’un trajet. Le calme, le bruit ou la musique ne me dérangeaient pas à partir du moment où j’entrais dans une bulle. Parfois, j’avais l’impression de pénétrer un sas dans lequel je trouvais du réconfort qui me permettait d’écrire.
Aujourd’hui, je suis en quête d’un endroit fétiche où me poser (c’est peut-être une excuse) pour me consacrer à ma prochaine fiction qui portera sur des femmes.

Bissap, tisane ou café ?

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