« Sous les branches de l’Udala » de Chinelo Okparanta: un appel à la tolérance

par Michèle Nougoum
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« Sous les branches de l’Udala » de Chinelo Okparanta un appel à la tolérance

C’est un roman qui ne ressemble à aucun autre, délicat, humble, tout en portant fermement un message fort, à l’image de son personnage principal, Ijeoma. L’art d’écrire, de décrire et de raconter quelque chose d’important dans une forme accessible, un peu à la manière d’un virtuose qui, à force de fluidité, laisse faussement penser son génie à la portée de tout le monde, ou, comme Ijeoma, à force de vivre qui l’on est, laisse espérer une Afrique plus douce, plus belle, plus compréhensive.

Sous les Branches de l’Udala, le roman de Chinelo Okparanta dont la traduction française a été publiée en 2018 aux Éditions Belfond est le récit d’une belle et magnifique trame de vie, dans un contexte de guerre (celle du Biafra), et post-conflit au Nigeria. Loin du style vindicatif, revanchard ou revendicateur dont le sujet, l’homosexualité en Afrique subsaharienne, pourrait mener, Chinelo Okparanta, a choisi une approche plus simple, plus narrative de la vie de son personnage principal, du point de vue de la jeune adolescente, puis la femme qui découvre et tente de vivre, au-delà de sa simple sexualité, qui elle est réellement.

Je ne peux raconter ce qui s’est passé avec Amina sans d’abord raconter dans quelles circonstances maman m’a fait quitter Ojoto. De la même manière, je ne peux raconter pourquoi maman m’a fait quitter Ojoto sans raconter comment papa a refusé de se rendre au bunker. (P. 15-16).

Une approche narrative intelligente et subtile

Une approche narrative intelligente et subtile, qui mêle délicatement l’histoire politique du Nigeria de la fin des années soixante, brillamment retranscrite, avec celle de la vie personnelle et intime de Ijeoma. Sous les Branches de l’Udala, on y retrouve l’atmosphère de peur, de rationnement de l’époque, mais aussi l’esprit de débrouillardise, les marchands à la sauvette, le « mentholatum » et les dialectes locaux. Bref, on est en Afrique Noire.

Nnenna fendait la peau des bananes avec la plus grande lenteur possible, tout en chantant bien fort : « Onye ihe m n’ewiwe, ya biko wegbuo ya, osukosu nwa mpi, ya biko sugbuo ya, selense. » Chaque fois qu’elle prononçait le mot selense, elle roulait des hanches avec vigueur, tout en lançant le menton en avant, à croire qu’elle prenait la pose pour un photographe. (P. 326)

On y retrouve aussi la condamnation de l’homosexualité, cette « abomination », le poids important de la religion, et la difficile quête identitaire et vie clandestine des gays dans le pays.

« Tu ne comprends pas ? C’est cette façon de vivre qui a entraîné la destruction de Sodome et Gomorrhe, la même chose que vous avez commise, toi et cette fille – comment s’appelle-t-elle déjà ? » (P. 152).

Pas de jugement de la société

Et bien que le parti pris du roman soit clairement en faveur de la tolérance, Chinelo Okparanta évite au maximum, tout au long du roman, l’écueil du jugement de la société, des autres, de cette Afrique aimée, qui, comme la maman du personnage, Sa Odimma, reste celle vers qui Ijeoma décide malgré tout de se tourner en dernier recours. Suivant la maxime « fais aux autres ce que tu aimerais que l’on te fasse », l’auteure a choisi de ne pas incriminer, mais juste de dire les choses (plutôt joliment) et écrire le ressenti profond de ses personnages.

« Il y a eu un lynchage hier », m’a dit Ndidi un soir d’un ton très tranquille. Elle semblait s’adresser à elle-même, ou à l’air, tout autant qu’à moi.
« C’était deux hommes. Je ne les connaissais pas. Des amis d’Adanna, de l’université. Depuis plusieurs jours, ils semblaient avoir disparu de la surface de la terre. Et puis hier, elle a appris une rumeur au marché, au sujet d’un couple de “pédés” qui avait été battu par la foule. Elle s’est rendue dans la forêt, derrière la route de terre, pas loin de là où ils habitaient, et elle les a trouvés là tous les deux, nus, battus à mort. »
Sa voix était douce et rauque à présent, à croire qu’elle avait la gorge sèche »
(P.382).

Et si certains passages du livre insistent un peu trop sur l’instrumentalisation de la religion (notamment par sa mère) pour justifier l’opposition à l’homosexualité, la grande leçon du livre, pour demeurer dans l’argumentaire biblique est : « Ne jugez point afin que vous ne soyez point jugés » (Mathieu 7:1).

Sous les branches de l’Udala : Un message plus large de tolérance et de paix

Une approche non violente qui fait penser à celle du mouvement des droits civiques aux États-Unis, révélant un aspect encore plus profond et large du message. Chinelo Okparanta aborde certes la problématique de ce qu’était être homosexuel (le) au Nigeria dans les années soixante-dix, mais encore aujourd’hui, mais aussi plus largement, les droits politiques et sociaux élémentaires de chaque nigérian, quels que soient son sexe, son appartenance ethnique et son orientation sexuelle.

« Tu es une Igbo. Cette fille est une Haoussa. Même si c’était un garçon, tu ne comprends pas que Igbo et Haoussa, ça revient au mélange des graines ? Tu ne comprends vraiment pas ? Ce serait contraire aux commandements de Dieu. » Elle a marqué une pause. « Et puis, tu n’as pas oublié ce qu’ils nous ont fait subir pendant la guerre ? Tu te rappelles ce qu’ils ont infligé au Biafra ? Ce sont les siens, le peuple de cette fille, qui ont tué ton père ». (P.148)

Résultat, Sous les Branches de l’Udala est un beau roman qui raconte un Nigeria détruit par la guerre, qui tente de se (re) construire, trouver un équilibre avec l’autre ennemi d’hier, dans l’harmonie et la tolérance, ainsi que la voie de la paix, tout comme son personnage Ijeoma, qui souhaite simplement vivre en accord avec elle-même, loin du jugement des autres, dans le respect de sa différence, sa dignité et de ses droits les plus élémentaires.

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