Aminata Aidara : « Il n’y a pas d’illégitimité dans l’écriture »

par Ramcesse Chetmi
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Je suis quelqu’un de Aminata Aidara

Le jeudi 21 février 2019 a eu lieu au sein des galeries MAM, à Douala, au Cameroun, la première rencontre littéraire de l’année 2019 organisée par le Salon littéraire MOSS. La romancière Aminata Aidara y présentait son tout premier roman Je suis quelqu’un, hymne à l’acceptation de soi, de chaque soi que l’on construit au fil des rencontres. Dans un échange animé par la journaliste Severine Kodjo-Grandvaux, Aminata Aidara a pu échanger avec le public autour de la trame du roman se déroulant entre prologue, journal intime, échanges de mails et narration, et ses protagonistes, Estelle, la marginale, et Penda, la femme forte et faible à la fois.

Je suis quelqu’un est en effet un hymne à la vie. Premier tome d’une trilogie, il met en exergue les failles d’une construction identitaire basée sur l’acceptation ou non de soi. Au-delà des personnages de Penda et Estelle, il existe d’autres personnages, qui n’ayant pas achevé de conter leurs histoires, auront une place importante dans les tomes II et III. Dans le tome II, on verra Dialika, la cousine italienne d’origine sénégalaise d’Estelle, la femme positive et dynamique, nous conter sa vie en Italie, et le petit-cousin fragile, Mansour, essayer de mieux gérer son passage de l’adolescence à l’âge adulte en espérant obtenir de meilleures réponses. Et le tome III se déroulera en Grèce avec pour protagoniste Giulietta, meilleure amie de Dialika et jeune femme adoptée d’origine rwandaise.

Les trois mois que l’auteure passera en résidence d’écriture à Chambéry, permettront de consolider les bases de ce qui sera, j’en suis sûre, un chef-d’œuvre de roman. Pour l’instant, nous sommes invités à lire Je suis quelqu’un. Pour Aminata Aidara, Je suis quelqu’un est un « voyage intérieur ». Elle nous en parle un peu plus dans cette interview.

Qui est Aminata Aidara ?

Je suis une écrivaine, une romancière aimant observer le monde et ayant beaucoup de choses à exprimer sur son rapport avec ce monde, son rapport aux autres, aux lieux. Je suis une personne issue de la conjonction de trois cultures : italienne de ma mère, sénégalaise de mon père et résidant depuis huit ans en France. Je suis donc ce que j’appelle « afropéenne ». Ayant vécu le plus souvent en Europe, c’est ici que s’ancre la majorité de mes souvenirs. Toutefois, depuis mon enfance, j’ai été façonnée par la culture et les traditions sénégalaises, car je vis toujours entourée de ma famille paternelle. C’est cela que j’essaie de transmettre dans mon art. L’écriture est pour moi l’histoire d’un mixage culturel, de la naissance d’une nouvelle génération, d’une rencontre entre l’Europe et l’Afrique à travers des personnages qui se doivent de connaître et de comprendre les choses du passé, afin de mieux s’expliquer leur présent et ainsi de déterminer leur avenir. Je raconte l’histoire des personnes qui assument ou pas, un passé qu’elles n’ont pas voulu et sur lequel elles n’ont aucune prise, et qui, au fil des différentes rencontres, comprennent le poids de l’histoire sur leurs vies présentes.

Chaque individu a le droit de décider comment se placer dans le monde selon la phase de sa vie Cliquez pour tweeter

Tels vos personnages, votre identité est en perpétuelle construction. Vous avez dit, « je suis afropéenne pour l’instant », serez-vous une autre personne plus tard ?

Peut-être. Qui sait ? Vous savez, quand j’étais toute petite, je pensais que j’étais sénégalaise. En Italie, j’étais la seule noire de ma classe et je tenais à rappeler à tout le monde que mon vrai pays était le Sénégal. Pour moi, malgré tout ce qui se passait, ma différence était une force. Toutefois, arrivée au Sénégal, je me sentais aussi différente et des personnes externes à ma famille me le faisaient savoir. Je n’étais pas complètement sénégalaise. Je me suis rendu compte que je pouvais avoir différentes identités dues à ma richesse culturelle. Pour moi, les identités changeantes et multiples sont une richesse. Chaque individu a le droit de décider comment se placer dans le monde selon la phase de sa vie, l’endroit où il se trouve et ce qu’il veut que les autres perçoivent de lui. C’est aussi dans cette construction d’identité que vivent mes personnages. Estelle, par exemple, sur près de 100 pages, se définit en disant « je suis quelqu’un… Qui a fait ou qui n’a pas fait ». Elle se répète à chaque instant ce mantra. Penda quant à elle, décide de quitter la jetset dakaroise par amour pour un autre homme, pour se retrouver à travailler en tant qu’agent d’entretien dans un lycée de la banlieue parisienne et mère seule élevant trois filles. Pour ces personnages, le miroir de la société n’a pas constitué un frein à leur volonté de se définir tels qu’ils voulaient bien être ou devenir.

Les définitions de la société ne doivent pas entraver notre liberté. Le monde moderne, que l’on veuille ou pas, est tourné vers le métissage, pas seulement des origines, mais aussi culturel et se positionner dans ce monde selon la perception qu’on a de soi, de notre vie à un moment donné est important pour y vivre sa liberté, car les définitions des autres représentent des contraintes à notre quête de soi. Ces identités fluctuantes ne sont pas un déni de soi, une négation de son être. Nous ne devons pas nous enfermer dans des miroirs que nous renvoie la société. Nous ne devons pas nous conformer à ce que la société attend de nous. C’est cette liberté que veulent mes personnages : vivre dans la quête de ce qu’on est.

Au-delà de la thématique sur la quête d’identité, les autres thèmes abordés dans Je suis quelqu’un sont la mort, la perte d’un enfant, la perte d’une mère, la drogue, le racisme, les échecs et déceptions amoureuses : des thèmes assez négatifs. Peut-on dire que votre roman est sombre ?

Non, Je suis quelqu’un n’est pas sombre. Ce sont les réalités du quotidien qui assombrissent la vie. Chacun de nous a connu ça : les déceptions amoureuses, la perte d’un être cher, la marginalisation, les échecs, etc. Je suis réaliste et je ne veux pas que montrer le côté sucré de la vie. Je m’inspire du réel. Certes, je montre des personnes en difficulté, mais ces personnes se relèvent à chaque fois. Dans une société concurrentielle, où tout le monde essaie d’exister, mon roman est considéré plutôt comme un hymne à la vie et comme l’on dit certains lecteurs, « ce livre m’a permis d’avancer ; ce livre m’a fait sourire… ». Et ce sont ces phrases qui sont galvanisantes pour l’auteure que je suis. Les questions existentielles, le retour au passé pour mieux comprendre le présent sont des problématiques récurrentes au sein de nos sociétés contemporaines.

La littérature ne devrait pas rester quelque chose d'élitiste. Cliquez pour tweeter

Quels conseils pourriez-vous donner aux jeunes écrivains africains ?

Aux jeunes écrivains, je leur demande de penser l’écriture comme une maison en construction. Une maison en construction pour laquelle on n’a pas de plan. C’est au fur et à mesure de la construction, et en fonction de comment vous vous sentirez à l’intérieur de cette maison, que vous saurez si vous allez faire un studio, un appartement, une villa ou une maison à plusieurs étages. Ne vous laissez pas enfermer dans les règles, dans les contraintes, dans les plans. Décorez votre maison comme vous le voulez et surtout ne vous sentez pas illégitimes. L’Afrique est le futur de la langue française. L’Afrique sera bientôt le nouvel épicentre de la langue française et les écrivains africains doivent pouvoir s’approprier cette langue, sans aucun complexe et la manier comme bon leur semble. Chaque écrivain francophone doit pouvoir être le précurseur d’une écriture subversive et il y en a déjà beaucoup qui l’ont fait tel l’écrivain congolais Sony Labou Tansi. Il n’y a pas d’illégitimité dans l’écriture et la littérature ne devrait pas rester quelque chose d’élitiste.

Vous êtes-vous sentie illégitime lors de l’écriture de ce roman ?

Non, à aucun moment. C’est vrai que dans ma vie, j’ai connu parfois des moments d’insécurité comme tout le monde. Mais j’ai eu la chance d’avoir des parents qui m’ont toujours dit qu’il y avait une place pour moi dans le monde. Ils me disaient : « Si toi, tu te sens illégitime, les autres te percevront comme telle et ne te feront pas confiance. Par contre, si tu penses être à ta place et que les autres ne le croient pas, ton point de vue va peu à peu modifier la réalité autour de toi ». J’essaie de ne jamais m’enfermer dans des réflexions handicapantes et je préfère encore l’action à la réflexion. C’est cette maxime que j’applique chez mes personnages. Ces personnages ne sont pas moi, mais naissent des différents voyages que j’ai effectués via mes rencontres personnelles.

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