« Sans tam-tam », un roman d’Henri Lopes comme une révolte muette

par Baltazar Noah
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Henri Lopes - Sans tam tam

Dans un monde où la gouvernance inadéquate et la corruption entravent le progrès, « Gatsé » de Henri Lopes se dresse comme une critique mordante de ces réalités. À travers un personnage principal qui rejette les privilèges non mérités et la décadence morale, Lopes tisse une histoire qui transcende les frontières, offrant une réflexion sur la nécessité de réformer la politique et la société pour un avenir meilleur en Afrique. Ce roman par lettres met en lumière les défis et les espoirs d’un continent en quête de changement véritable. Sans tam-tam, Henri Lopes, Yaoundé, Éditions Clé, 1977.

Gatsé, le personnage principal de ce classique de la littérature franco-africaine, relate son histoire presque cocasse et pathétique, au fil des correspondances avec un de ses amis. Gatsé est un frustré du régime politique tyrannique qui sévit dans son pays. Ledit régime l’a pressé comme un citron et finalement relégué à un poste obscur de professeur dans un établissement de brousse… Les jeux sont faits, c’est terminé, Gatsé n’a plus d’avenir dans son propre pays.

Pourtant, citoyen modèle et dévoué, il ne déprime pas et ne regrette rien. Il prend juste du recul. Son refus d’intégrer les rangs du régime en place ne s’accompagne ni d’orgueil ni d’arrogance. En fait, il refuse d’adhérer à la philosophie qui consiste, selon lui, à étriper consciemment le pays : ce qu’on appelle “la mauvaise gouvernance”. Il voudrait servir le peuple en toute honnêteté, même s’il doit être humilié. C’est la raison pour laquelle, logique et cohérent avec lui-même, lorsque son ami lui propose un poste de Conseiller Culturel à Paris et une évacuation sanitaire, Gatsé refuse pour rester professeur de brousse. D’ailleurs, il s’en explique fièrement :

« Dans le mouvement normal de la vengeance des nouvelles équipes, on m’a affecté ici en brousse. J’ai eu peur de la déportation, l’enfer. Finalement c’est l’Eden. Laisse-moi y mourir. Garde ta pomme, serpent ! Ce n’est pas un fruit Congolais. »

Henri Lopes se sert de l’univers Congolais pour faire une caricature hilarante d’une Afrique où la mauvaise gouvernance et la “médiocratie” à la Alain Deneault s’engraissent mutuellement.  Plus clairement, dans ce type de régime, les politiques font feu de tout bois en s’arc-boutant sur des idéologies politiques occidentales qui sont pourtant en déphasage avec leur contexte social. Et, par ricochet, les postes administratifs ne sont pas attribués aux fonctionnaires sur la base de la compétence et du mérite. Ces mauvaises habitudes qui nuisent gravement à l’émergence de certains pays africains, voilà ce qui constitue le fond de ce roman par lettres. De fait, en dépeignant la déliquescence de la société Congolaise, Lopes formule son souhait de voir le continent Africain en particulier, et partant le monde tout entier, vivre un jour prochain d’autres réalités.

Sans tam tam d'Henri Lopes

À travers le personnage de Gatsé qui refuse de jouir des fruits du favoritisme calibré et du clientélisme organisé, l’auteur de «  Tribaliques » sème la graine de la révolution en chacun de ses lecteurs. Afin qu’ils s’insurgent à leur tour contre un mode de gouvernance, hélas, trop répandu dans plusieurs pays d’Afrique, et dont les leitmotive pourraient se résumer ainsi : tromperie délibérée du peuple, distraction des fonds publics, incitation à la haine tribale, népotisme organisé et pédantisme des intellectuels.

Henri Lopes s’insurge contre les attrape-nigauds d’une élite politique Congolaise sans scrupules. Toute son œuvre littéraire est une invitation pressante à un changement profond du fonctionnement de l’univers politique et social de maints Etats africains, dans l’optique d’établir une plus grande interactivité entre les gouvernants et les populations. Ce qui favorisera, croit-il, l’implication de la société civile dans la gestion des affaires publiques.

D’ailleurs, l’odeur nauséeuse qu’exhale en ce moment l’actualité politique au Congo-Kinshasa notamment impose le respect de la trame de l’œuvre de Lopes. En effet, les populations vivent dans la peur et l’incertitude du lendemain à cause des machinations saugrenues — qui débouchent finalement sur des carnages — que les politiques en place tissent pour se maintenir indéfiniment au pouvoir. Par conséquent, force est de constater que les problèmes de maints États Africains vont toujours « du même au même », ils changent juste de forme (en raison de contextes différents), mais ils conservent le même fond. Ainsi, pour extirper le mal à sa racine, Wa Thiong’o propose « décoloniser l’esprit ». Mieux encore : une cure généralisée des mentalités.

Lopes fait foisonner, par ailleurs, l’esthétique de l’oral et de l’écrit. En cela, il se rapproche de Calixthe Beyala (Maman a un amant) et d’Elizabeth Tchoungui (Je vous souhaite la pluie), dont les écritures occupent une place sur le pinacle de l’engagement et de la rupture avec les normes de la langue française. Aussi, construit-il également une hybridité narrative qui met en communication des personnages et des espaces différents. C’est une manière d’illustrer l’importance de la biodiversité dans un monde dans lequel l’acceptation de l’autre, lorsqu’il a une vision du monde différente, est souvent problématique.

La mauvaise gouvernance est une entrave au développement de plusieurs pays Africains en général. Car, elle conduit à la fragilisation et à la paupérisation des États. Il conviendrait donc de lutter contre ses formes les plus expressives — la corruption et l’impunité des fraudeurs —, en élaborant des programmes d’action qui garantiraient la justice sociopolitique et économique. En d’autres termes, il s’agit de promouvoir une manière de gouvernance dont le fil d’Ariane est l’identification précise et le traitement efficient des besoins réels de la population. L’écriture de Lopes est, de ce point de vue, l’archétype de la dénonciation de la décadence morale et de la tyrannie sans bain de sang, sans que le « tam-tam » ne résonne !

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