« Aux États-Unis d’Afrique » d’Abdourahman Waberi: la traversée poétique et à contre-courant du déracinement

par Michèle Nougoum
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Le livre d’Abdourahman Waberi, publié aux éditions Actes Sud (30 avril 2008) et réédité chez Zulma en avril 2017 au format poche, est une subtile et délicate traversée de 176 pages aux confins des inégalités, des préjugés, du déracinement, et de la quête identitaire.

Vif, poétique et souvent sarcastique, ce portrait d’une Afrique glorieuse et prospère est une merveilleuse critique, à la fois ingénieuse et retentissante, des rapports entre l’Afrique et l’Occident.

Comme le résume si bien l’auteur dans un entretien accordé au journal Le soir : « Rien de plus jouissif qu’un renversement de la situation géopolitique. Rien de plus jouissif qu’un grand rire nègre ou rabelaisien pour dire le monde tel qu’il boite. »

« L’homme d’Afrique s’est senti, très vite, sûr de lui. Il s’est vu sur cette terre comme un être supérieur, inégalable parce que séparé des autres peuples et des autres races par une vastitude sans bornes. Il a mis sur pied une échelle de valeurs où son trône est au sommet. Les autres, les indigènes, les barbares, les primitifs, les païens, presque toujours blancs, sont ravalés au rang de parias. » (p. 52).

Dès les premières pages du roman, le ton est donné. Il ne s’agit pas de décrire une Afrique illustre, fière, accueillante et ouverte. L’Afrique décrite n’est pas un idéal d’Afrique, le rêve d’un continent mythique souvent inconsciemment influencé par un certain orientalisme, mais bien le miroir de l’Occident. Cette entité géopolitique est riche et dynamique, avec sa « bourse online de Lumumba Street » (p. 14), ses « golden-boys » (p.14), ses prestigieuses universités, son hégémonie économique et culturelle. Mais elle s’avère aussi peu enviable sur le plan social, notamment à l’endroit des migrants « euraméricains », par peur du « péril blanc » et de tous ceux qui « introduisent le tiers-monde directement dans l’anus des États-Unis d’Afrique. » (p.18)

Un récit fictif à l’humour incisif

Abdourahman Waberi - Aux États-Unis d’AfriqueLes amateurs d’Histoire africaine qui espéreraient trouver leur compte dans ce livre seront déçus. Aux États-Unis d’Afrique est davantage un exceptionnel récit fictif à l’humour incisif, qu’historique. Il y est bien fait mention de moments et personnages historiques clés, comme « Soundiata Keïta qui, lui aussi, est resté dans les almanachs et les mémoires pour ses largesses sans bornes » (p. 29). Néanmoins, Abdourahman Waberi prend aussi un malin plaisir à jouer avec la vérité, mais surtout nos propres représentations historiques. En témoigne le passage sur « l’actuel président [Des États-Unis d’Afrique] Nelson Mandela et son vice-président Areski Babel, l’un et l’autre tout juste remarquables pour leurs chemises chatoyantes, dessinées par le couturier Pathé Ndiaye lui-même. » (p. 28-29) ; ou encore la manière dont l’auteur revisite l’histoire de tableaux occidentaux célèbres comme L’origine du monde, attribué non plus au français Gustave Courbet, mais à l’africain Gustavio Mbembe.

La jonction entre le privé et le politique

Plus important, Aux États-Unis d’Afrique est une mise en pratique de la conception de l’art et de la littérature d’Abdourahman Waberi, décrite comme « la jonction entre le privé et politique, entre l’histoire individuelle et la grande histoire » (p149). Celle « qu’aucune analyse politique, aussi « juste » soit-elle, ne peut rendre compte du millième » (149). Le livre est en effet une succession de paragraphes alternés entre la description de cette société africaine éclatante et orgueilleuse, et le récit intimiste de la vie de Maya, l’héroïne blanche exilée dans cette terre qui ne l’a pas vu naître, mais où elle a pourtant grandi. « Tu es et tu restes une exilée, une exilée à la racine qui plus est » (p. 156), insistera l’auteur jusqu’à la fin.

L’errance qui n’est pas perdition

Le personnage principal de Malaïka, prénom d’adoption dont Maya est le diminutif, est le symbole de la révolte intérieure et la violence poétique. Son enfance insouciante, son adolescence solitaire, puis sa quête identitaire sont racontées comme un long sanglot romanesque et musicalement écrit, entre deux paragraphes sur l’état de la société aux États-Unis d’Afrique et le misérable reste du monde. C’est d’abord dans « le dialogue privé et silencieux de la lecture » (p. 151) puis de la peinture et la sculpture que Maya, « vouée à l’errance qui n’est pas déperdition » (p. 151) va chercher un sens à son existence. Mais c’est une fois la recherche de ses origines (celle de sa mère biologique et de son territoire de naissance) terminée, qu’elle va véritablement trouver la paix et se réconcilier avec elle-même et sa terre d’adoption. « Tu seras une autre et toi-même à la fois » (p. 156), résumera le narrateur.

Le mouvement d’identification, de projection et de compassion, voilà la solution

Le parcours et la conclusion de la vie de Maya résument le message de l’ouvrage, et probablement la philosophie Abdourahman A. Waberi. La quête identitaire et le cheminement de l’héroïne, qui traverse les territoires et se confronte aux différences culturelles, renforcent et affermissent ses facultés d’empathie et de compassion. Selon l’auteur,

« Il faut insister pour que les enfants d’Europe [entendez d’Afrique] puissent découvrir, outre la Bible et la Torah, les fleurons de toutes les civilisations, les proches comme les lointaines. Si les récits refleurissent, si les langues, les mots et les histoires circulent à nouveau, si les gens apprennent à s’identifier aux personnages surgis d’outre-frontières, ce sera assurément un premier pas vers la paix. Le mouvement d’identification, de projection et de compassion, voilà la solution » (p. 150).

Aux États-Unis d’Afrique est une magnifique traversée poétique et à contre-courant du déracinement. Share on X

Un miroir inversé pour se comprendre

Aux États-Unis d’Afrique est une magnifique traversée poétique et à contre-courant du déracinement. L’une des seules objections que l’on pourrait soulever est que l’on apprend en définitive plus sur l’Occident que sur l’Afrique. Mais ce n’est certainement pas l’objectif du livre. Un peu à l’image du narrateur d’Abdourahman Waberi, qui affirme de l’héroïne, de retour dans sa pauvre France de naissance :

« Tu te sens, Maya, en pays dominé, conquis historiquement et économiquement. En compagnie d’un peuple se regardant dans le miroir d’autrui pour se convaincre de sa propre existence (p. 146) »,

Le roman a certainement pour finalité de permettre au lecteur de se sentir comme un individu se regardant dans un miroir inversé pour comprendre sa propre existence.

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