« Le miraculé de Saint-Pierre » de Gaston Paul Effa : le dernier élément de la triade d’un parcours initiatique

par Charles Gueboguo
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"Le miraculé de Saint-Pierre" de Gaston Paul Effa : le dernier élément de la triade d’un parcours initiatique

MENÉ (compté)…

Séraphine Fournier. Arrière-petite-fille de Louis-Auguste Cyparis, dit Samson. En tant que lectrice assidue de Gaston-Paul, elle provoquera une rencontre avec l’auteur du Rendez-vous avec l’heure qui blesse. Elle veut connaître ce qui l’a motivé à écrire sur la vie de Raphaël Elizé. Et ce faisant, apporter sa part de vérité dans cette réappropriation. Elle devient à cet instant-là, une sorte de fin prolongement, mais seulement en échos, de la voix de Philippe Baron. Ce dernier accuse Gaston Paul Effa de plagiat de son documentaire : « Le Métis de la République ». Pis encore, Effa aurait fait de Raphaël Elizé un martyr malgré lui, pour chercher « à satisfaire un désir de pathos victimaire propre à notre époque ». C’est donc en se préparant à cette rencontre avec Effa que Séraphine découvrira par la télévision qu’il vient de publier un autre roman : Le Miraculé de Saint-Pierre.

Raphael Elizé

Raphael Elizé, premier maire noir de France

Il y est cette fois question du voyage de Cyparis, son arrière-grand-père à elle. L’un des trois miraculés de l’éruption volcanique de la montagne Pelée à Saint-Pierre. En 1908. On est donc subtilement introduit dans les circumambulations de Cyparis, ce miraculé de Saint-Pierre, et la rencontre non fortuite d’Effa avec Séraphine. Ces différents parcours Aurach-Séraphine-Effa, qui vont, ce faisant, recouper et préciser celui de Raphaël Elizé, ont pour but de faire pénétrer un « mythe par où la fiction rejoint la réalité et la figure de Cyparis celle de Sisyphe ».

Dans ce mythe, le voyage de Cyparis/Samson ; dans ce grand labyrinthe du cirque qu’est la vie et ses représentations, l’objectif est de trouver la lumière. Ou ce qui en tient lieu. C’est une métaphore de l’initiation par le feu. Dernière phase du voyage de l’initiandus. Voyage intérieur dont la téléologie est la mort du profane pour ce qui serait l’attente d’une renaissance. À travers le passage du Cabinet de Réflexion à la Porte du Temple.

Louis-Auguste Cyparis

Louis-Auguste Cyparis (Martinique, 1er juin 1874 – Panama, 1929) : seul survivant de l’éruption du mont Pelee en Martinique. Il était enfermé dans une cellule souterraine dans la ville de Saint-Pierre, lorsque l’éruption volcanique a tué tout le monde en quelques secondes. Environ 30 000 personnes sont mortes.

MENÉ (compté)…

Tandis que le lecteur s’attendrait à ce que Le Miraculé… soit une réponse à la lettre ouverte de Philippe Baron, Gaston-Paul Effa a réussi le tour de main d’allégoriser le parcours de ses personnages, fictifs-réels, sous la forme d’un voyage. Un parcours initiatique. Le sien : « cette histoire n’est pas seulement celle de Cyparis ou d’Elizé, mais la mienne [Gaston-Paul Effa] en réalité… En écrivant sur Elizé puis sur Cyparis, il me semblait assister à ma propre naissance ».  Peut-être la vôtre, aussi. Si, vous faites partie des damnés terriens noirs de Fanon, essayant de porter Les Nègres masques de Genet.

Toujours est-il que, puisque dans ce cabinet réfléchissant, le cherchant se retrouve : seul. Aveugle. Ni nu. Ni vêtu. Il lui est donné un guide sûr. Le guide évitera au guidé les erreurs et les errements. C’est ce rôle-là que joue d’abord Georges Aurach. Dans la fiction, libraire d’Effa. Dans les faits historiques, alchimiste du XVᵉ siècle. Auteur d’un traité sur la pierre philosophale : De Lapide philosophorum, qui de antimonio minerali conficitur. Mais également de l’ouvrage allégorique Le Jardin des richesses. Effa nous le présente comme son mentor et ami. C’est lui qui l’aurait poussé à écrire sur Cyparis. Leur quête commune devient le centre d’union où se noue une amitié fidèle de deux hommes qui, autrement, auraient dû rester à jamais loin l’un de l’autre.

Ensuite, Séraphine, encouragée par Aurach, finira par devenir le guide spirituel et initiatique d’Effa. L’alchimiste dira à Séraphine : « mon ami recherche la pierre philosophale : il explore la pensée, sillonne l’écriture pour atteindre l’œuvre rouge… son esprit attend la décomposition de la matière [la mort physique du corps] pour s’éveiller ». Séraphine, pour éviter à Effa les errements dans son voyage initiatique, va lui apprendre que « la vie est différente quand on apprend à contempler ». En effet, pour apprendre à penser, et partant à écrire, il faut s’exercer à s’isoler et à l’abstraction en rentrant en soi-même (voyage intérieur dont la finalité est la mort du profane pour une renaissance). Sans se laisser distraire par les bruits de l’extériorité. En d’autres termes, il faut pouvoir « pénétrer dans la caverne du passé et des milliers d’instants sombres, figés, qui le composaient ». Telle est la panacée de celui qui connaît manger les vrais fruits pour défier au final la mort, lui apprendra-t-elle de cette connaissance, de la nature et de ses lois, qui lui viendrait de Ganmè. Sa grand-mère à elle.

THEKEL (pesé)…

Séraphine, de par ce dernier rôle, serait le véritable prolongement de Tala, la femme pygmée. Elle initia Effa dans l’animisme. Il en discourt dans son essai Le dieu perdu dans l’herbe : l’animisme, une philosophie africaine. Georges Aurach et Séraphine Fournier sont donc in fine les guides conducteurs qui aident Gaston-Paul Effa dans sa quête philosophale pour « [que] réalité et imaginaire coïncident », pour créer chez lui la capacité de « déchiffrer la lumière dans l’obscurité », à travers l’art de l’écriture. « L’art… c’est un peu de lumière dans toute cette noirceur ». La transformation de l’horreur en beauté, c’est-à-dire en quête de soi pour, paraît-il, se libérer. Tout cela, bien que « toute douleur [narrée] n’est pas automatiquement transformée en or ».

UPHARSIN (divisé)…

Le Miraculé… dont la complexité structurale n’est que de façade, se trouve au final être le déploiement du parcours du prescrit qu’est Effa, et qui s’est mis en tenue. Dans ce cabinet où il s’est logé, il se sent en sécurité et invulnérable derrière le voile de l’allégorie, comme ses pairs gnostiques (Gibbon). Ce roman qui « répondrait à un projet [initiatique], plus grand que le livre lui-même » est dans son platonisme et sa croyance aveuglée au voyage du sage au monde plus élevé et lumineux, le dernier élément feu, d’une approche trinitarienne (la doctrine de la trinité tire son origine du platonicisme et Philon, théologien d’Alexandrie, apporta la touche finale qui influença le catholicisme romain). Les deux premiers de la triade étant son roman Rendez-vous avec l’heure qui blesse et son essai Le dieu perdu dans l’herbe : l’animisme, une philosophie africaine. Cette triade finit par en faire Un-Tout par une sorte d’hypostase mystique : Aurach/Osiris/Nimrod en père créateur ; Tala/Séraphine/Isis/Sémiramis en mère qui connaît tout du créateur ; et Effa/Horus le fils qui épousa, dit-on sa mère Sémiramis. Aurach-Tala-Effa, donc. Trois en un, donc hermétisme.

Un pas. Deux pas. Trois pas. Quatre pas. Un voile est tombé des yeux, parce que. Compté (mené). Compté (mené). Pesé (thekel). Divisé (upharsin). Cette triade ne s’adresse pas aux non-initiés. Ils ne risqueraient que d’y voir, à franchement écrire, un « bourrage de crâne ».

Le miraculé de Saint-Pierre, Gallimard, 2017, 240 Pp., ISBN : 9782072694271.

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