Victor Bouadjio « Esclavage, 150 ans après » : Rompre le faux silence pudique ?

par Éric Tchuitio
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Enterrez-la. Jouez au roublard à son égard. Mais, elle revient à petits pas sûrs et sereins : l’histoire est têtue et coriace. Elle ne trépasse jamais.

Voilà, en filigrane, le sentiment qui traverse le lecteur lorsqu’il achève la lecture de cet ouvrage de Victor Bouadjio publié chez Institut du Monde Noir (1998), dans lequel il nous livre un bilan historiographique sur l’esclavage. Sous la forme d’une écriture créative, celle qui permet de donner une texture qui contribue à titiller l’imagination de l’agent-lisant en branlant son imagination vers une manière d’impertinence serrée. Celle qui offre de regarder-aborder- autrement les questions de l’histoire et de la mémoire autour de l’esclavage dans le contexte actuel. En effet, l’essayiste français d’origine camerounaise retrace et contextualise, sans bémol ni honneur perdu, les différentes articulations de cette odyssée tristement célèbre, qui a contribué à détériorer les rapports entre les différents peuples protagonistes. Notamment, les peuples africains et occidentaux.

La problématique de fond de son travail est Comment transmettre le souvenir de l’esclavage ?[1] Plus aisément, il reproblématise la question de l’exhumation de l’histoire en secouant la conscience collective, afin d’enseigner l’histoire de la traite négrière et de l’esclavage aux nouvelles générations. Exercice peu ou prou délicat pour un esprit non cartésien, car il perdrait sa foi, sa lucidité, son bon sens et son objectivité. Pour virer dans l’invective. Mais, tout en dévoilant une certaine subjectivité ordinaire, Victor Bouadjio offre au lecteur une sorte de rendu pour éclaircir le ciel sombre sur la question de l’esclavage !

L’acte de lecture est captivant. Parce que l’essayiste fait montre d’un sens affiné de l’analyse objective et de la pensée critique, sous le signe d’une parfaite maîtrise de la formule et de la langue. En substance, cet essai constitue une catharsis. C’est-à-dire, une purification-libération dont l’issue inéluctable serait de « régler le passé » en garantissant ainsi la transmission de la mémoire historique qui contribuerait, selon l’angle de l’approche que nous propose Victor Bouadjio, à l’émergence des communautés africaines qui partagent l’histoire de l’esclavage avec l’occident.

Après un détour chez Marie-Ange Evindisi[2], Tierno Monenembo[3], Hemley Boum, en passant par Edwige Denticat[4] dont les œuvres atteignent l’extase du mouvement correspondant au devoir de mémoire et au devoir d’histoire, on peut reconnaître à Victor Bouadjio, à travers la direction observée dans l’orientation de son projet, une posture de révolutionnaire, puisqu’il s’engage à rompre le faux silence pudique qui, sans remord, condamne au cachot du désespoir la connaissance et la maîtrise de l’histoire générale et intégrale de l’esclavage et de la traite négrière « …150 ans après ». Et bien plus encore !

[1] Bonniol, Jean-Luc. « Comment transmettre le souvenir de l'esclavage ? Excès de mémoire, exigence d'histoire... », Cités, vol. 25, no. 1, 2006, pp. 181-185.
[2] Auteure du roman  Les  exilés de Douma (trois tomes, Paris, l’harmattan). Une trilogie romanesque qui se pose comme un travail historiographique à la forme d’un rendu socio-anthropologique (dressé en une subtile collecte ethno-littéraire) qui assure la traçabilité historique d'une peuplade de la forêt  équatoriale-les fongs donc- au Cameroun.
[3] Dans son roman  Le terroriste noir ( Paris, Seuil, 2012), il retrace  l’histoire d’un soldat du 12e régiment de tirailleurs sénégalais pendant la Seconde Dans Guerre mondiale.
[4]Dans son roman  Le briseur de rosée (Paris, Grasset, 2005), elle raconte l’histoire poignante et renversante d'une époque jamais révolue qui refait surface. C'est aussi, en marge, l'histoire de tous ces hommes vêtus de gros bleu, lunettes d'écaille sur le nez, en Haïti, du temps de Duvalier. Un régime violent et brutal.

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