« Et je suis restée debout, vivante » d’Evelyne Abondio

par Noel Zalla
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"Et je suis restée debout, vivante" d'Evelyne Abondio

 Sous les cendres, des fleurs !

Évelyne Abondio nous prend par la main et arrive à nous redonner goût à la vie en 154 pages.

Dans son premier roman, Et je suis restée debout, vivante, édité chez Zinedi, Évelyne Abondio ouvre une fenêtre sur le monde de trois femmes. Un monde bouleversé, qui nous rappelle étrangement les évènements tragiques qui ont secoué la Côte d’Ivoire, pays d’origine de l’auteure, entre 2010 et 2011 suite aux élections présidentielles.

À peine entré dans le premier roman d’Évelyne Abondio que le monde s’effondre. Alors, il faut s’accrocher. S’accrocher à tout ce qui nous tombe sous la main. Bienvenue à Diamanda. Une contrée prospère d’Afrique de l’Ouest qui à son tour devait faire face aux avancées de la guerre civile. Diamanda chavire et nous en sommes témoins à travers les yeux humides de trois femmes.

Émeraude, institutrice qui a la quarantaine, a bâillonné ses rêves au profit de la stabilité :

« Je me disais que j’avais perdu toutes mes illusions mais c’était plus profond que cela. Je n’arrivais plus à rêver, mes ailes étaient brises » (p.14).

Incomprise par sa famille, à l’étroit dans son mariage et obligée de supporter les infidélités de son époux, Émeraude se console en regardant grandir ses deux filles.

Flora cherche un sens à sa vie.

« Petite fille mélancolique, j’étais perdue dans ce jeu d’adultes, moi qui n’avais pas de papa… » (p.91).

Élève ingénieur agronome, elle n’a jamais reçu l’amour de ses parents. Son père n’était jamais présent et sa mère passait son temps à courir après son père. Un vide comblé par son papi qui lui a transmis l’amour de la terre.

Enfin voici Fatima. Elle vient de décrocher sa licence en droit. Elle a la vingtaine, un âge où la plupart des femmes ont la tête pleine de rêves et d’espoir. Elle ne se fait pas trop d’illusions et porte un regard réaliste et un peu désabusé sur la vie.

Mais la guerre a éclaté ; donc plus le temps de s’apitoyer sur son sort. Il faut se sauver à tous les prix. Le monde tel qu’elles le connaissent est en train de disparaître et le chaos a déposé ses valises à Diamonda. Et quand l’obscurité s’épaissit, elles vont devoir trouver un point de repère. Une vieille connaissance qui ressurgit du passé, une rencontre fortuite et la providence serviront de phares à nos trois héroïnes pour les aider à naviguer dans les ténèbres. Et si en fait tout cela n’était qu’une opportunité pour elles de se recréer à leurs images… ?

L’univers du roman est très accessible. Il est dominé par le champ lexical de la guerre et de la violence. L’auteur use d’un vocabulaire vivant et coloré pour faire passer son message

«Mais il règne une drôle d’atmosphère ici. La confiance a définitivement foutu le camp de ce pays. Et ce qui nous lie à présent, c’est la peur » (p.69).

Au fil du roman, la résignation et la peur laissent la place à l’espoir et la vie. Au début, on a du mal à suivre le déroulement de l’histoire car l’auteure utilise des flashbacks et des « flash-forwards ». Ça peut être un peu déroutant, mais quand on rentre dans le rythme on devient le complice de l’auteur. On découvre la politique africaine et son univers assez spécial. On parle du statut de la femme, d’amitié, de combativité, des pressions sociales et des tentatives pour s’en défaire.

C’est l’histoire de trois anges à qui la société a arraché les ailes, et qui ont quand même décidé de sauter dans le vide pour se sentir vivre ne serait-ce qu’un court instant. Cliquez pour tweeter

L’histoire de chaque femme est racontée de manière distincte et j’étais un peu appréhensif sur la manière dont l’auteur allait lier les trois protagonistes. J’étais agréablement surpris, car elle le fait de manière gracieuse et subtile.

Évelyne Abondio met le doigt sur un thème sensible et inconfortable à aborder. La manière dont on traite nos mères, nos sœurs et nos femmes. Combien sont contraintes à être des versions inférieures d’elles-mêmes ? Combien sont obligées par la société à faire des contorsions émotionnelles pour rester « dignes » ? Je n’ai pas les réponses, mais nous devons avoir le courage d’avoir cette conversation dans nos maisons. J’aurais aimé que l’auteur développe plus là-dessus et dépasse le stade du simple constat.

Ce roman nous amène à porter un regard sur nous-même en tant que société, sur nos pratiques et leurs dérives. Je le recommande à quiconque est soucieux d’entamer une autoanalyse approfondie qui mènera peut-être à un changement de mentalité et de comportement.

Évelyne Abondio nous parle de vide. Le vide laissé par un mari infidèle dans le lit conjugal. Le vide laissé par un membre ampute. Le vide laissé par un père absent. Le vide laissé par l’abandon d’êtres chers. Enfin, le vide que nous ressentons tous au plus profond de nous-même, représentatif de notre époque et de ce que nous faisons pour le combler. Néanmoins, nos trois héroïnes refusent d’être des victimes et encore mieux, elles deviennent maîtresses de leurs vies. Et c’est quand le pouvoir de l’État est à genoux, qu’elles se mettent debout pour reprendre le contrôle de leurs vies.

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