5 Questions à Djaïli Amadou Amal, finaliste du Goncourt 2020 avec les « Les impatientes »

par Acèle Nadale
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5 Questions à Djaïli Amadou Amal, finaliste du Goncourt 2020 avec les "Les impatientes"

Djaïli Amadou Amal. Tout le monde littéraire francophone parle de « la surprise » du Goncourt de l’édition 2020 avec son troisième roman Les impatientes (lauréate du Prix de la Presse Panafricaine de Littérature 2019).  Pour nous, ce n’est pas une surprise de voir le travail de Djaïli Amadou Amal être reconnu à l’international.

Quand vous avez lu son premier roman, Walaande, l’art de partager un mari (Ifrikiya 2010, Prix du jury de la Fondation Prince de Claus à Amsterdam), il ne fait aucun doute que ce roman est le début d’une très belle carrière. Avec Les impatientes, finaliste du Goncourt  2020, elle confirme ce que nous avions pensé. La date de la proclamation du gagnant prévue pour le 10 novembre a été malheureusement renvoyée à une date ultérieure par solidarité aux fermetures des librairies en France pour cause de confinement. En attendant, nous avons eu le privilège d’échanger avec Djaïli Amadou Amal sur son parcours littéraire et sur son engagement dans le combat contre les injustices faites aux femmes, thématique centrale de ses livres.

Afrolivresque – Votre roman, Les impatientes, dont le titre original est Munyal, les larmes de la patience, a été publié en 2017 aux éditions Proximité au Cameroun. Quel est le lien entre le titre de l’édition camerounaise et celui de l’édition française ?

Djaïli Amadou Amal – Munyal est en langue Peulh et signifie littéralement patience. Pour une femme, ça veut dire : « accepte tout, résigne-toi et surtout ne te plains pas ». Munyal est l’une des valeurs de la culture Peulh. C’est une injonction que les femmes entendent tout au long de leur vie. Quand une jeune fille va en mariage, on lui donne tout un ensemble de conseils dont Munyal, Munyal, Munyal! Selon cette valeur, si le mariage réussissait, ce serait grâce à notre patience ou à notre capacité à tout supporter. En écrivant ce roman, je voulais certes parler des violences faites aux femmes, mais surtout, dénoncer tout cet ensemble de conseils qu’on martèle à la jeune fille qui se marie. Les trois héroïnes du roman sont des femmes qui ont envie de dire qu’elles ont marre de ce Munyal, mais elles sont prises au piège du mélange de la culture et de la religion.

Ce roman ayant eu le 1er Prix Orange du Livre en Afrique en 2019, les éditions Emmanuelle Collas se sont intéressées au livre. Avec Emmanuelle, on a voulu donner un titre beaucoup plus optimiste. Ces femmes sont des femmes qui se battent. Elles ne se laissent pas faire. La première prend la fuite, c’est une forme de courage. La seconde qui se réfugie dans la folie, c’est peut-être aussi une forme de courage. La troisième décide de rester dans le mariage et de ne pas se laisser faire, c’est encore une autre forme de courage. Ce sont trois femmes qui n’ont pas de Munyal et qui sont impatientes.

En plus d’être une écrivaine à succès, vous êtes aussi engagée dans la promotion de la lecture avec l’association « Lire au Sahel« , dont vous êtes la présidente. D’où vient votre passion pour la lecture ?

J’ai eu une enfance plutôt heureuse. J’ai eu la chance d’être inscrite à l’école, car pour mon père, l’éducation des filles était une chose très importante. J’ai été plongée très tôt dans la littérature, à l’âge de huit ans. J’adorais les livres. Enfant, je n’avais qu’un seul objectif, trouver des livres. Pour cela, j’étais prête à tout, y compris à escalader le mur de l’Église catholique (rires). J’avais peur d’entrer par la porte. C’était le seul endroit où il y avait un semblant de bibliothèque. J’y emmenais mes petits frères quand mes parents faisaient la sieste. Quand mon père a finalement découvert le secret, il était très choqué. Il m’a posée la question de savoir pourquoi j’escaladais le mur de l’église. Quand il a su que c’était pour chercher des livres, il m’a demandé d’entrer par la porte. Je lui ai fait comprendre que j’avais peur parce que je suis musulmane. Il m’a tout de suite rassurée que cela ne posait aucun problème. Ce jour-là, mon père m’a enseignée ma plus grande leçon de tolérance et m’a encouragée à lire beaucoup plus.

Dans vos livres, vous thématisez les injustices faites aux femmes, entre autres le mariage forcé, une situation que vous avez vous-même vécue. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

Je viens d’une région où l’enfant n’appartient pas qu’à sa famille. L’enfant est celui de toute la communauté. Mes oncles m’ont donnée en mariage à 17 ans à un homme politique puissant qui avait plus de la cinquantaine et qui était déjà marié. Évidement je me suis révoltée avec les armes que j’avais. J’ai pleuré, j’ai dit non. Comme je le dis toujours, le mariage forcé ne se passe pas comme dans les mauvais téléfilms. En réalité, il passe davantage par le chantage affectif et par la persuasion. On demande à la jeune fille de ne pas faire honte à sa famille. À un moment, on finit par céder au chantage. La lecture et l’écriture m’ont beaucoup aidée à surmonter cette épreuve. Psychologiquement, j’avais besoin d’un exutoire. En lisant, je pouvais être partout où j’avais envie d’être, sauf dans la réalité. En écrivant, j’essayais de faire ressortir tous mes ressentis.

Si défendre les droits des femmes et essayer d'apporter des solutions aux problèmes qu'elles rencontrent est le féminisme, alors oui je suis une féministe. Cliquez pour tweeter

Vous vous réclamez féministe. Qu’est-ce que le féminisme pour vous aujourd’hui ?

Au départ, je ne me disais pas que je veux être féministe ou me réclamer comme telle. J’ai publié mon premier livre. Il a eu le succès qu’il a eu. Et tout d’un coup, on a découvert l’univers de ces femmes qui sont enfermées dans des maisons. Pour la première fois, une femme du Grand Nord Cameroun osait dire ce qui n’allait pas et ce qui se passait réellement dans ces concessions. La presse m’a surnommée « la voix des sans voix ». Je me suis inscrite dans un combat qui était le mien dès le départ. Je n’avais pas encore mis les mots sur ma bataille. Aujourd’hui, quand on me demande ce que c’est que le féminisme, je ne sais vraiment jamais comment répondre à cette question. Si défendre les droits des femmes et essayer d’apporter des solutions aux problèmes qu’elles rencontrent est le féminisme, alors oui, je suis une féministe. Ceci dit, est-ce que je m’inscris forcément dans d’autres combats féministes où les revendications vont peut-être au-delà de ce que moi, je peux imaginer ? Là, c’est une autre question.

Vous êtes aussi la présidente de l’association « Femmes du Sahel » avec laquelle vous essayez justement d’apporter sur le terrain des solutions aux femmes qui rencontrent des injustices…

Effectivement, j’ai créé cette association en 2012 après avoir suivi un programme de leadership aux États-Unis. Son périmètre d’action est le Grand Nord du Cameroun et toute la zone du Sahel. Nous avons deux volets, le volet éducation et le volet développement. Dans l’éducation, nous accompagnons les filles avec des parrainages. En 2019, nous avons eu 400 parrainages d’enfants dont 80 % de filles. Actuellement, nous sommes en train de réunir des fonds pour les prochains parrainages. Nous travaillons surtout dans les zones rurales. Nous essayons de faire beaucoup de causeries éducatives sur le mariage précoce et forcé. On apprend aux filles comment se prémunir des violences. Nous créons aussi de petites bibliothèques scolaires dans les zones très isolées. Dans certaines de ces régions, les enfants peuvent finir leurs cycles scolaires sans avoir jamais vu un livre de leur vie. Nous faisons beaucoup de sensibilisation dans les collèges et lycées aussi, avec les jeunes filles. Nous avons déjà sensibilisé près de 7 000 jeunes filles avec le soutien de nos partenaires. Côté développement, nous encourageons les femmes à avoir des activités génératrices de revenus comme l’agriculture et l’élevage, et en leur octroyant de petits crédits. Tous ceux qui souhaitent nous aider peuvent nous contacter directement par notre page Facebook Femmes du Sahel.

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