« Écorchées vivantes »: Une écriture de l’affranchissement

par Sarah Assidi
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Écorchées vivantes Une écriture de l’affranchissement

Dans Écorchées vivantes, recueil aux éditions Mémoire d’encrier, neuf femmes haïtiennes, Sachernka Anacassis, Stéphanie Balmir, Edna Blaise, Martine Fidèle, Kermonde Lovely Fifi, Farah Angela Jean, Rébecca Odéna, Meggie Petit-Maître, Nedjmhartine Vincent, appellent au décloisonnement moral dans le but de faire sauter les barreaux pour la conquête de toutes les facettes de l’humain. Munies d’un appétit vorace de jouissance, elles manifestent l’urgence de faire tomber les masques de la bienséance pour mieux ressentir le monde. Dans ce monde où la complexité des situations empêche toute lecture monolithique, elles choisissent dans leur récit d’en assumer les paradoxes et les fêlures pour tirer toute la sève de leur écriture.

Un dépouillement libérateur

Dès le titre, certains seront heurtés par la violence de l’oxymore « écorchées vivantes ». Pourtant, ces deux qualificatifs ne sont pas si étrangers l’un à l’autre si l’on perçoit le premier dans son acception anatomique : celle d’une représentation du corps humain sans sa peau. Sans le tissu des barrières physiques et symboliques présentes en filigrane dans ces récits, les auteures nous montrent qu’il existe une vie, une volonté, des désirs et des combats. Ici, le dépouillement de la peau se fait textuel, non pas dans une écriture sans chair, bien au contraire, dans le nettoyage des peaux mortes qui empêchent d’avancer. Libérée, Kermonde Lovely Fifi est la première du recueil à annoncer cet affranchissement : Cette terre noire collée à notre peau. C’est le soufre d’un lointain au revoir. Dans une variation entre narration poétique et vers libres, l’affranchissement se prête aux injonctions et aux impératifs de l’écriture :

Donnez-moi de l’amour interdit

Un morceau de soleil palpitant sous les doigts

Donnez-moi ce cœur violé tant de fois

Que des mots ne suffiraient pas à égayer

Donnez-moi la haine d’un corps fatigué

Victime des heures de plaisir et de lâche fierté

Donnez-moi de l’amour

Donnez-moi de l’amour interdit

Face au viol et à la violence des corps et des mentalités énoncés tantôt implicitement, tantôt explicitement, les récits traduisent le dévoilement des mythes de la virginité et de la maternité. Chez nous, plus de pucelles. Plus d’innocence écrit Kermonde Lovely Fifi, la mère et la fille sont Deux itinérantes bloquées en chemin, à la recherche d’un rayon de soleil, dans le récit de Nejdmhartine Vincent. Hormis le premier texte de Kermonde où la mère exhorte sa fille de se battre et de faire du bruit, le recueil regorge d’appels aux mères conditionnées à penser l’épanouissement des filles via le mariage ou la maternité : Toi qui pouvais prendre le monde sur tes épaules, te voilà démunie sans un homme sous tes draps déplore Rébecca Odéna au souvenir de sa mère, dans sa Marche interdite. Ainsi, débarrassées des entraves des rôles à jouer, – à ce sujet, le motif du masque revient fréquemment dans le recueil -, les femmes assument une sexualité jouissive qui vient contrecarrer le flot de violence.

Le recueil Écorchées vivantes a l’avantage de ne pas réduire la sexualité à un seul scénario Share on X

Une ode au plaisir féminin

Le recueil Écorchées vivantes a l’avantage de ne pas réduire la sexualité à un seul scénario. Frôlant la folie et la mort, il inverse parfois les rôles, comme c’est le cas dans le texte de Meggie Petit-Maître qui, Du fond de l’asphalte, et bien sanglée dans son âge douteux, attend son amant pour tenter d’oublier son veuvage dans un marché de chair à ciel ouvert. Dans le récit d’Edna Blaise, le désir est sans fin, inflammable, cathartique et condamnable pour la narratrice qui multiplie les escapades et s’en vante allègrement. L’écriture se fait alors incisive, l’énoncé performatif s’adresse à la mère, allocutaire du discours :

Maman, je l’ai fait. Je l’ai fait, maman. Je n’en ai pas honte. Au contraire. J’ai joui. Plus jamais je ne te laisserai m’enfermer. Plus jamais ! C’est mon instinct naturel. Personne ne peut opprimer ce genre de désir.

Les figures d’opposition telles que le chiasme ou l’antithèse disent la résistance. Le but ? Se plonger en soi-même. C’est d’ailleurs la question que pose explicitement Sachernka Anacassis dans son texte Évasion solitaire, Qu’est-ce, vivre sans soi-même ? Où l’innommable se dessine : masturbation et homosexualité.

Jouissance est un mot trop faible pour signifier quelque chose d’aussi complexe. Pour certaines, jouir est tout ce qu’il y a de plus merveilleux. Pour d’autres, de plus étrange. Pour moi, un mélange des deux. Ma jouissance est mon souffle de vie tout comme elle m’asphyxie par moments. Je jouis souvent. Tout le temps. Chaque jour. Plusieurs fois par jour. Quand je le veux. Où je le veux. Comment ? Pourquoi ? Avec qui ? La seule explication possible est que je suis une femme unique. Avec un amour unique. Et une façon de jouir mille et une fois.

Au-delà de la dénonciation, de la subversion ou de la transgression, Écorchées vivantes s’interroge sur les moyens de s’affranchir aussi bien socialement que mentalement des différents conditionnements. La plurivocalité crée plusieurs niveaux de sens multipliant les manières dont les auteures expriment leur position face à elle-même et face à la société. En confrontant différents points de vue tels que celui de la nymphomane, de la soumise, de la folle ou encore de la rebelle, elles montrent un habile entrelacement des voix fictives et réelles. Trois invitations nous sont adressées : creuser les plaies pour mieux s’en départir, gratter les zones épineuses pour s’en dépêtrer, nommer l’indicible pour le faire exister.

Bissap, tisane ou café ?

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