Alanguie sur le sol, incapable de bouger, j’entends les pleurs de mes filles au loin, comme un écho dans une grotte. Un goût ferreux sur ma langue me rappelle que Dieu m’avait dotée de sens. Mais mis à part celui du goût et de l’ouïe, je pense ne plus jouir des autres. Mes yeux sont fermés, non par choix, mais parce qu’il m’est impossible de faire autrement. Mes filles pleurent, elles m’appellent. Lui ne dit rien.
J’entends ses pas décidés sur le plancher en bois de la maison. Il va et vient. Je ne sais trop ce qu’il fait. Je me souviens seulement de la joie que j’avais ressentie quand il avait accepté de céder pour ce plancher quand nous construisions la maison. Oui. Notre maison de rêve… et bientôt mon tombeau. La soudaine absence des voix des filles me ramènent à l’instant présent. Je me demande où elles sont. Ses pas ont aussi disparu. Il fait de plus en plus en chaud. J’ai de plus en plus de mal à respirer… C’est donc comme ça qu’on se sent quand on va mourir ? Dans les films, ils disent souvent qu’ils ont froid avant de passer de vie à trépas. Un bruit familier attire mon attention. Il me ramène à ma plus tendre enfance. Les joyeuses vacances passées en compagnie de ma grand-mère au village. C’est elle qui m’a appris à cuisiner tous les merveilleux plats traditionnels que je connais. Le plus difficile pour moi en cuisine avait toujours été d’allumer le feu. Le feu! Oui… c’était bien le bruit du bois qui brûle que j’entendais. Celui des brindilles qui crépitent. Il avait mis le feu à la maison, à notre maison de rêve.
J’ai toujours pensé que j’aurais eu une vie heureuse. D’ailleurs, tout le monde s’est toujours entendu sur le fait que j’ai une bonne étoile. En y repensant, je suis aussi amusée qu’il me soit possible de l’être, compte tenu des circonstances. Je peux dire qu’effectivement j’ai eu une belle vie… Si on sait compartimenter. J’ai fait de brillantes études, j’ai un emploi de rêve et deux magnifiques filles au moins aussi intelligentes que moi. Ah! Mes princesses! Oui tout est merveilleux. Tout sauf…
Nous nous sommes rencontrés par hasard, une nuit alors que j’attendais un taxi. La foule omniprésente de l’école publique de Deido se disputait les taxis comme d’habitude. Un véritable ring de boxe sur lequel plusieurs combats avaient lieu en même temps. Une lutte pour se faire entendre des taxis qui s’arrêtaient, et une autre pour entendre les taximen* qui sollicitaient les passagers pour une destination particulière. J’allais rendre visite à ma tante à Makèpè Village et j’avais tout juste 500 francs CFA dans ma poche. Il s’était mis à pleuvoir, pour tout mon malheur. Cette pluie avait eu l’effet habituel sur les tarifs des trajets. Très vite, on annonçait 700 F CFA pour Makèpè. Et pour embellir davantage le portrait, je n’avais pas de parapluie. J’étais trempée jusqu’aux os et je n’avais pas d’alternative.
Alors que j’essayais de résoudre une équation à plusieurs inconnues dans ma tête, un charmant jeune homme s’est approché de moi, et sans mot dire, m’a protégée de son parapluie. Je n’osais pas lever les yeux sur lui. Il émanait de cet inconnu quelque de chose de captivant, d’attirant. Était-ce le côté dramatique de la situation qui réveillait mon âme de rêveuse romantique ? Peut-être bien. Ou encore cette intime proximité avec un parfait inconnu qui irradiait la virilité même ? Oui il sentait bon. Je regardais droit devant moi et lui aussi. Je ne savais pas ce qu’une jeune femme devait dire dans des moments pareils. Son silence ne me facilitait pas la tâche non plus. Au bout de quelques minutes, la pluie s’était interrompue. Il s’était alors écarté de moi pour refermer son parapluie. J’avais eu un pincement au cœur. Je me souviens m’être dit : « Mais enfin ! Où va-t-il ? » J’avais levé les yeux vers cet inconnu et avec l’aide des phares des véhicules qui circulaient dans la ville, je découvrais un homme grand, environ dix centimètres plus grand que moi, noir ébène, physiquement bien entretenu.
« Merci, lui dis-je.
-Je vous en prie Mademoiselle. Vous aviez l’air si découragé que je n’ai pu m’empêcher de vous venir en aide.
-Tant que ça?
-Haha! Oui, tant que ça. »
J’avais souri. Nous avions discuté quelques minutes et nous avions décidé, sans trop savoir comment ni pourquoi, qu’il m’accompagnerait chez ma tante. C’est ainsi que Yann est entré dans ma vie.
Couchée sur le sol, je sens la vie s’échapper de moi. Dieu merci je serai morte avant que les flammes ne dévorent mon corps. Je n’aurai pas à subir le martyre de l’enfer avant même d’y être rendue. Cet enfer contre lequel on m’a si souvent mise en garde, mais qui pour moi a toujours été une autre Atlantide, un mythe. Maintenant, à ses portes, j’en suis moins certaine. Toutefois, s’il existait, j’y aurais une place de choix pour avoir fait ce que j’ai fait. J’entends des voix au loin. Sans doute les voix des défunts qui m’appellent de l’autre côté. Elles sont si énervées. Est-ce donc le résultat d’une souffrance infinie dans un étang de feu ? Je sens mon corps décoller du sol. Ça y est ! C’est le moment. Finalement ce n’est pas aussi douloureux que je le croyais. Je n’espère qu’une seule chose en quittant ce monde : que mes filles se souviennent de moi, de mes victoires, de mes défaites et de mes erreurs pour se construire des vies véritablement heureuses. Le vent…
Il y a du vent qui caresse mon visage. L’air que je respire est pur, frais. Il semblerait que même les enfers n’aient pas voulu de moi et qu’on m’ait envoyée ailleurs.
‘’Madame! Madame est-ce que vous m’entendez? ’’
’’ J’ai un pouls, de multiples contusions mais aucune réaction. ’’
Et si… Et si je n’étais pas morte? Mes yeux pochés s’inondent de larmes. Je suis donc devenue à ce point impotente, que même mourir je n’y arrive pas? La jeune femme que j’étais il y a cinq ans aurait eu honte de moi, tout comme lui, a honte de moi à présent. Cette dernière pensée a fini de m’achever. Je sombre dans un état de demi-conscience et je continue de me remémorer mes années de gloire.
Je m’étais si rapidement éprise d’amour pour lui. Mon preux chevalier vivait aux Etats-Unis et était en voyage d’affaires au Cameroun. Nous avions convenu de ne pas s’engager l’un envers l’autre, mais j’avais des plans différents. Je terminais ma maîtrise en droit à l’université de Yaoundé 2 et j’attendais les résultats de la loterie américaine à laquelle j’avais joué depuis quelques mois déjà. Je m’étais promis de ne rien dire à mon amoureux si la réponse n’était pas positive. En attendant, je profitais de chaque milliseconde passée en sa compagnie. Quand il était là, je ne le quittais pas d’une semelle, délaissant famille, amis et occupations pour lui. Il était mon oxygène, ma raison d’être. Lorsqu’il allait à des rendez-vous d’affaire, j’en profitais pour aller chez l’esthéticienne, la coiffeuse ou au marché. Il me donnait son avis sur tout. Le choix de mes tenues, mon maquillage, la couleur de mon vernis… absolument tout. J’étais plus que convaincue de son amour. Jamais aucun homme avant lui n’avait mis autant d’application à l’appréciation de tous ces détails. Alors, quand quelque chose ne lui plaisait pas, je ne me faisais pas prier pour la modifier aussitôt.
Au bout de quelques mois de relation, j’ai enfin obtenu les résultats de la loterie : j’avais ma green card! J’étais folle de joie. Enfin, je pouvais aller de l’avant, parler d’avenir. Je l’ai annoncé à ma grand-mère en premier. Elle était triste de me voir partir. Moi aussi. Nous savions toutes les deux que nous n’aurions certainement plus l’occasion de nous revoir, vu son âge avancé. Nos adieux furent remplis d’émotions, et mon cœur reconnaissant de l’avoir eue auprès de moi pendant tant d’années. J’avais obtenu la bénédiction de mes parents. Bien évidemment ils ne savaient pas qu’un homme s’était immiscé dans mon programme. Je ne l’avais jamais présenté à mes parents. D’ailleurs je ne l’avais présenté à personne, et lui non plus. Nous étions trop occupés à vivre notre histoire et à en savourer chaque instant. De toutes les façons, nous aurions largement le temps de satisfaire à toutes les civilités d’usage.
Mue par une confiance totale en l’avenir, je pris l’avion pour les États-Unis. Je comptais faire la surprise à mon chéri. Bien évidemment je n’avais pas prévu de sonner à sa porte avec mes bagages! J’avais une cousine qui vivait dans la même ville. Mon plan était parfaitement ficelé et même l’univers y avait apposé son sceau approbateur. Nous nous étions parlés via Skype à mon arrivée pour n’éveiller aucun soupçon et surtout pour connaître son emploi de temps de la semaine. J’avais évité de mettre la vidéo, prétextant une mauvaise connexion internet pour masquer l’évidente absence de décalage horaire. Il avait prévu de passer la journée chez lui pour se reposer. Les choses ne pouvaient aller mieux.
Il est huit heures vingt minutes quand je sonne à sa porte. Quand je lui en envoyais des colis du Cameroun, je n’imaginais pas que sa maison puisse être aussi grande et aussi belle. Je fus indubitablement impressionnée. Si jeune et une réussite qui surpassait ce que j’avais osé imaginer. J’avais vécu ce moment encore et encore dans ma tête. Il demanderait qui sonne, je lui répondrais. Il prendrait un moment pour réaliser avant de m’ouvrir la porte et serait fou de joie. Nous nous embrasserions et laisserions notre passion s’exprimer. Mais rien ne s’était déroulé comme prévu. Il avait simplement ouvert la porte et m’avait lancé un ‘’Que fais-tu là?’’ . J’étais désarçonnée. Je n’avais pas de réponse prévue pour ce scénario. Il s’est écarté de l’embrasure de la porte et je suis entrée. Il est remonté se coucher sans rien ajouter de plus. Des milliers de questions se bousculaient dans ma tête. Qu’avait-il? Pourquoi avait-il fallu que je m’invite chez lui de la sorte? Pensait-il que j’étais venue avec l’intention de vivre sans papiers? Lui avais-je mis trop de pression? Pourquoi étais-je aussi idiote? Il n’était redescendu que quelques heures plus tard. Je n’avais pas bougé du sofa sur lequel j’étais assise depuis mon arrivée. J’avais décidé de clarifier la situation immédiatement.
‘’Assieds-toi je te prie. Je voudrais te parler.’’
Il avait pris place en face de moi sans mot dire. J’avais entrepris de raconter mon récit et les raisons qui m’emmenaient aux États-Unis. Plus mon histoire avançait, plus son visage se décrispait. Il semblait soulagé. J’étais tellement heureuse de voir enfin son sourire se dessiner sur ses lèvres, que j’avais choisi de reporter la discussion sur le pourquoi de son attitude à plus tard. Et en y pensant bien, j’avais sans doute répondu à toutes ses inquiétudes au travers de mon explication.
Par la suite, il a insisté pour que j’emménage chez lui la journée même. Ma cousine vivait dans un appartement et lui possédait une maison. Ça tombait sous le sens, alors j’avais emménagé chez lui.
Nous vivions en parfaite harmonie. Je m’étais inscrite à des cours de langue et Yann veillait à ce que je ne manque de rien comme à son habitude. C’était bien au-delà de mes attentes. Je vivais un rêve éveillé jusqu’à ce fameux jour. Il était en voyage au Cameroun pour ses affaires. La session de cours s’achevant, mes camarades de classe avaient décidé de sortir boire un verre dans un bar. J’avais tenté de le joindre sans succès sur son cellulaire pour lui en parler et lasse d’essayer, j’avais décidé de sortir. Finalement, nous avions opté pour un bar-lounge branché de la ville. Nous nous étions tellement amusés que je n’avais pas entendu la sonnerie de mon cellulaire quand il m’a appelée. Ce n’était qu’à quatre heures du matin, une fois de retour à la maison, que je voyais son appel en absence. Je l’avais rappelé, mais en vain. Il devait être de retour deux jours plus tard et jusqu’à cette date, je n’avais reçu aucune nouvelle de lui. Je mourrais d’inquiétude, mais à cours d’alternative, j’avais pris mon mal en patience.
Le jour de son retour, je l’avais attendu comme le messie, guettant par la fenêtre toutes les cinq minutes. Il était enfin là. J’avais ouvert la porte et je m’étais ruée dans ses bras, lui disant combien il m’avait manqué, et comme je m’étais inquiétée. Sa seule réponse fut :’’ Entrons!’’. Elle m’avait pour le moins refroidie. Je marchais devant lui. À peine entrés, et aussitôt la porte fermée, je me retournais pour l’embrasser langoureusement et lui montrer plus explicitement à quel point il m’avait manqué. Il avait accepté mon baiser. Il défaisait d’ailleurs la ceinture de son pantalon, prémisse d’un échange passionné qui me ravissait. Soudain, d’un coup sec, il me poussa violemment. Le temps de comprendre ce qui se passait, je croulais sous une pluie de coups de ceinture. Il me traitait de prostituée, de salope, de dévergondée… Quand il eut décidé que j’en avais assez, il s’éloigna de moi, me laissant recroquevillée sur les carreaux froids du sol, désormais seul réconfort que je pouvais espérer face à la brûlure de ses coups de fouet. J’aurais préféré me réveiller de mon rêve, plutôt qu’atterrir en plein cauchemar.
Le cycle était entamé. Dès lors, je n’avais plus le droit de fréquenter des amis, ma cousine. Je devais me cacher pour parler à ma famille au Cameroun. Tout ce que je faisais était devenu soit trop, soit pas assez. Chaque crise était synonyme de coups. Et chaque réconciliation me promettait la lune et les étoiles au pied de mon lit. Étais-je heureuse? Ou profitais-je simplement des moments de bonheur ici et là? Je n’avais pas eu le temps de répondre à cette question que je me découvrais enceinte. Bien qu’utilisant assidument une méthode contraceptive, j’étais enceinte. Je ne savais pas comment l’annoncer à Yann. Je redoutais une autre crise de nerfs, ou m’entendre dire des horreurs. J’avais appris que malgré mes résultats impressionnants à l’université, selon le barème de Yann je n’étais bonne à rien. Grande fut ma surprise quand il sauta de joie en découvrant le test sur l’oreiller dans notre chambre. Une semaine plus tard, il était au Cameroun rencontrer mes parents. Très vite, les choses sont devenues officielles entre nous. Les trois années de notre relation aboutissaient enfin. Nous avion célébré le mariage civil aux États-Unis, et une fois les jumelles nées, nous étions partis au Cameroun pour le coutumier et le religieux. Plus d’une année sans cris, sans coups, sans paroles dénigrantes. Le démon l’avait quitté. Enfin, c’est ce que je croyais.
Forcée de me couper du monde, je vivais entre les cours, mes enfants et ses amis. Ma vie n’était pas si mal, mais l’indépendante en moi était brimée à son maximum. Je me répétais sans cesse que c’était pour l’équilibre de mon foyer. Après tout, j’étais une femme mariée dorénavant et je découvrais une nouvelle condition à mon statut légal : celui de cocue. Yann rentrait de plus en plus tard, prétextant des réunions d’affaire ou des rencontres entre amis de longue date que jamais je ne voyais à la maison. Remplie de doutes, je m’étais aventurée à fouiller son téléphone. La pêche fut mauvaise ; rien de compromettant. Puis un jour, Yann est rentré ivre. Il faisait tellement de bruit qu’il m’a réveillée. Je suis descendue lui dire de parler moins fort pour éviter de réveiller les filles. Mal m’en a pris. Jamais il ne m’avait infligée de correction aussi violente. C’était sa maison, payée avec son argent. De quel droit osais-je lui dicter sa façon de se comporter? C’est aussi ce soir-là que j’apprenais qu’au moins avec Shirley il avait la paix. Désemparée, je me réfugiai chez ma cousine avec les filles. J’avais enfin pu partager ma souffrance avec quelqu’un. Toute ma souffrance. Elle n’en revenait pas. Yann était pourtant si charmant, disait-elle! Un peu possessif mais charmant tout de même! Puis, sont venues les fameuses questions. Ne penses-tu pas que tu pourrais faire un effort et travailler sur toi-même pour arranger les choses? As-tu pensé aux filles? Comment veux-tu t’en occuper sans revenus? J’aimais bien cette dernière question. Sans le dire à personne, j’avais envoyé mes curriculum vitae à plusieurs entreprises et si initialement je cherchais un poste d’entrée, j’avais obtenu par la providence un poste intermédiaire. Alors oui, même si je n’avais pas terminé mes nouvelles études, je pourrais travailler.
Au début, Yann me menaçait de porter plainte pour enlèvement. Face à mon silence, il avait changé de méthode. Il me suppliait, me demandait pardon avec des arguments inédits. Yann avouait avoir un problème et il prétendait avec sincérité que j’en étais la seule et unique solution. Mon cœur était touché je l’avoue. Yann me proposait de voir quelqu’un, un professionnel qui nous aiderait à faire face à nos difficultés. Yann clamait son amour pour moi, et pour les filles, les seuls êtres qui donnaient un sens à sa vie. Yann avait réservé deux billets d’avion pour un séjour d’une semaine à destination des Seychelles. Yann livrait des fleurs avec des mots d’amour chez ma cousine… Yann! Yann! Yann faisait tout pour que je lui pardonne. J’avais envie d’y croire et une fois de plus, une fois de trop je suis retournée avec Yann.
Nous avions vécu à nouveau une lune de miel. J’ai commencé mon nouvel emploi. C’était difficile avec les filles, l’école et le travail. Mais nous étions en lune de miel et Yann était redevenu parfait. Il ne sortait plus autant, rentrait à des heures convenables, avait recommencé à apprécier ma cuisine, me laissait davantage de liberté quant au choix de mes vêtements, était plus tendre quand on faisait l’amour. Le démon était à nouveau parti. Pour de bon, pensais-je! Jusqu’à ce soir…
J’avais prévu de célébrer l’anniversaire des filles. Yann voulait ça intime. Néanmoins, je n’avais pas lésiné sur la qualité des mets présentés. Il était rentré plus tôt que prévu et avait sorti son sac de gym de sa voiture. Je pensais qu’il voulait faire une lessive, alors je n’y avais pas accordé plus d’attention que ça. Nous avions passé une soirée agréable et avions couché les filles pour profiter d’un moment d’intimité. Du moins, c’est ce que je croyais. Yann avait ouvert une bouteille de champagne et ressorti les flûtes de notre toast de mariage. Nous étions collés l’un contre l’autre devant le foyer électrique à profiter du moment, quand je me suis sentie faiblir.
«Yann…
-Oui?
-Je me sens molle… Qu’est-ce qui m’arrive?
-Sans doute l’effet du champagne…
-Non Yann… Ap…Appelle… les… secours…
-Aucun besoin, j’ai ce qu’il te faut. »
Il m’avait alors assené une gifle d’une violence inouïe. Je commençais à comprendre que nous ne vivions pas un de ces moments de pur hasard. Yann avait la parfaite maitrise de la situation. Il a continué de me rouer de coups sans que je ne puisse, ne serait-ce que protéger mon visage. Nous avions franchi une autre étape ; il s’en foutait que ça paraisse. Gifles, coups de poings, coups de pieds, crachats… tout y est passé. Mais au-delà des coups, les paroles étaient le plus dur à encaisser.
« Tu n’es qu’une moins que rien. Je vais te tuer tu m’entends? Et personne ne te regrettera. Tu voulais faire de moi une femme? Jamais! Ici, c’est moi qui commande. Et tu apprendras aujourd’hui que tu vis ou meurs selon mon bon vouloir. Tu me dégoûtes! La seule chose de bien que tu aies pu faire en ce bas monde ce sont mes filles. Je vais les emmener loin de toi et jamais elles ne subiront l’influence de la putain que tu es. Je vais te briser!»
Il s’était éloigné un moment, et immobile sur le sol, je pouvais le voir ouvrir son sac de gym pour en sortir une batte de baseball et un bidon dont j’ignorais jusque-là la contenance. Pour ce qui est de la batte, le craquement de mes os, les uns après les autres, ne laissait aucune place au doute concernant son utilité. Il tenait sa promesse. Il me brisait. Mes yeux s’étaient alors fermés. J’attendais la fin quand il s’est arrêté de cogner. Je ne vivais plus que cette journée en échos. J’avais entrepris d’écrire un journal pour mes filles. Un résumé de ma vie. Il était dans mon casier à l’université et faisait partie de mon testament. Mes filles y auraient accès seulement à leur majorité. C’était là ma seule consolation du moment, avant que de la demi-conscience, je ne passe à l’absence de conscience.
Les coups ont cessé, mais au prix de ma vie. Au prix de mon temps auprès de mes filles. Au prix du bonheur que je me suis refusé en acceptant la première gifle. Oui! J’aurais connu de grandes victoires et de retentissants échecs. Le silence aura été mon plus grand ennemi. Ce silence qu’on m’avait promis être un allié pour l’épanouissement de mon ménage. La honte et la culpabilité ont été ses épouses. À tous les trois, ils ont eu raison de moi.
« On la perd! Vite une injection de… » Que j’entends au loin. Ça y est. J’ai froid. J’ai touché le fond et je ne ressens désormais plus rien. Ni douleur, ni honte, ni peur, ni culpabilité. Je ne vois que le sourire de mes princesses au loin.
Je m’appelle Naema, et c’est l’histoire de la fin de ma vie.
Weli Tinashé
*Taximen: chauffeurs de taxi
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