SAISON 3 : Deux marabouts, un pasteur.
ÉPISODE II : Ton cher Joseph
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Ralf Kenner
Heldentummarktstr. 49
D-20000 Stuttgart
Allemagne
Très cher Ralf,
J’espère que tu te portes à merveille et que Tania et les gosses sont rentrés sans incident majeur de leurs « vacances » chez ta belle-mère. Aussi, j’ose espérer que Tania et toi pourrez rallumer cette étincelle qui a fait de votre couple pendant de si longues années, l’exemple que j’ai voulu suivre pour le mien. Nous nous connaissons depuis si longtemps tous les quatre, ce serait véritablement dommage que vous vous sépariez pour de telles raisons. Je te souhaite tout le courage du monde, mon ami. Tout ira bien.
Je suis bien arrivé au Cameroun. Je dois te confier que je n’étais plus habitué des vols en classe économique et tu ne peux t’imaginer à quel point j’étais lessivé à mon atterrissage à l’aéroport de Nsimalen. Mes valises sont bien arrivées, elles aussi. Cela est d’autant plus important à souligner que j’ai voyagé avec Air-France, comme tu sais, et que cette compagnie s’est toujours donné volontiers un malin plaisir à « oublier » mes bagages au CDG.
Le vol en lui-même était assez correct. Sûrement informées de mon rang, les hôtesses françaises se sont montrées moins arrogantes qu’à leur habitude. Certaines se sont probablement demandées pourquoi je ne voyageais pas en classe affaire. Tu me connais, le luxe insolent est quelque chose que je répugne particulièrement. Seul véritable bémol à côté des sièges trop étroits, mes compatriotes dans l’avion ont rendu toutes mes tentatives de piquer un somme vaines. Ils chantaient, riaient, applaudissaient et redemandaient sans arrêt du vin rouge. Compte tenu des visages dépités du personnel de cabine, il est certain que ce dernier considère les vols africains comme une véritable punition.
L’aéroport de Nsimalen a fait installer entre-temps des scanners pour la prise d’empreintes digitales des passagers à l’arrivée. Ils n’ont malheureusement pas appris à leur personnel à s’en servir. Enfermés dans leurs boîtes en verre trop épaisses qui compliquent encore plus la communication, des agents de police en sueur et totalement dépassés hurlent des ordres du genre « Et maintenant le pouce !…LE POUCE !!!!!! ».
Un spectacle qui aurait été encore plus hilarant si nous n’avions pas six heures de vol depuis Paris dans les jambes. Mais devoir assister au combat des forces de l’ordre avec une technologie que des nourrissons bangladeshis manipuleraient avec aise, n’avait plus rien de drôle après plus d’une demi-heure d’attente. À cela s’ajoute naturellement l’incivisme de mes compatriotes qui ne respectent pas les rangs et essayent de toujours passer outre l’ordre établi.
Il fait une chaleur moite à Yaoundé, et ce, malgré la pluie. Comme tu sais, c’est ca la saison. Le ciel est chargé mais les températures restent néanmoins toujours très élevées. Nous sommes loin du climat si agréable de chez toi, à Stuttgart. Ce qui m’a permis de me remettre plus facilement de mes blessures depuis mon évacuation. Mes douleurs dans l’abdomen ont presque disparu désormais. Je serai toujours reconnaissant au Dr. Bleibtreu et je me permets de te prier, à l’occasion, de bien vouloir lui transmettre une nouvelle fois ma gratitude. Et comment pourrais-je t’oublier toi, mon cher ami, qui sans hésiter a tout organisé pour que je puisse rapidement me faire opérer et qui m’a offert si généreusement le couvert et le logis pendant mes mois de convalescence en Allemagne ?
Lorsque je me rappelle de notre première rencontre à l’université, jamais je ne me serais douté que tu deviendrais l’un de mes plus fidèles compagnons. Je te dois ma vie après cet ignoble et lâche attentat et je te promets de mettre son commanditaire sous les verrous. J’ai d’ailleurs déjà une petite idée de qui cela pourrait être. Malheureusement, comme tu le sais, j’ai neutralisé mes deux assaillants pendant l’attaque et je ne dispose donc pas de témoins à charge, ce qui rendra probablement ma tâche très difficile. Toutefois, tu sais que je ne me défile jamais devant une bataille bien rangée et mon équipe et moi travaillerons d’arrache-pied pour empêcher cet adversaire de nous nuire à nouveau.
Je te transmets par l’occasion les salutations d’Elizabeth, qui promet d’intervenir en ta faveur auprès de Tania. Ce serait la moindre des choses.
C’est avec regret qu’il va falloir que j’abrège cette lettre. En effet, l’officier désormais en faction devant mon portail pour assurer ma sécurité, vient de me signaler que mon collègue, l’inspecteur Pascal Étoundi dont je t’ai souvent parlé et dont l’intervention rapide ce fameux soir a permis de sauver ma vie, demande à me rencontrer. À voir son visage soucieux sur la terrasse depuis ma fenêtre, je suppose qu’une nouvelle enquête m’attend.
Porte-toi bien Ralf, j’espère que notre prochaine rencontre se passera sous de meilleurs auspices.
Très cordialement,
Ton cher Joseph. »
***
Si Ébongué Sébastien avait été en possession d’ailes ou de pouvoirs magiques, il se serait envolé comme Icarus ou tout simplement volatilisé à la manière de David Copperfield. Au lieu de cela, la panique le clouait sur place et un filet d’urine chaude s’écoulait désormais sur sa jambe droite, mouillant son pantalon de lin blanc.
Philemon Onguéné agitait son long couteau au manche brisé devant le visage émacié du jeune entrepreneur. Le criminel de grands chemins souriait sadiquement, exhibant des dents étonnement blanches.
« Gars, tu crois que je blague ?? », dit-il en se penchant un peu plus vers le jeune homme complètement paniqué. Sa calvitie galopante était désormais à quelques centimètres seulement du visage de son vis-à-vis.
« Non, non…Mais je ne sais vraiment rien…Je ne connais rien… », répondit Ébongué dont les yeux globuleux semblaient vouloir s’arracher de leurs orbites.
« C’est moi que tu veux tromper ? Je vais t’ouvrir le ventre là, tu vas voir… », reprit le malfrat en mimant un égorgement.
Anatomiquement, il plaçait le ventre définitivement bien trop haut.
L’ancien garage désaffecté dans lequel il retenait l’homme d’affaires depuis qu’il l’avait enlevé en milieu de journée à son domicile du quartier Essos, était caché par de nombreux arbres et suffisamment en retrait, pour qu’il puisse mettre sa menace à exécution sans risquer de se faire appréhender. Il savourait cette sensation de puissance et son corps musculeux frétillait déjà de joie à l’idée seule d’ajouter une nouvelle victime à son palmarès déjà très impressionnant.
Mais même lui se devait de suivre ses instructions et elles étaient claires : plus de victimes collatérales. Toutefois, personne ne lui avait interdit de muscler un peu son interrogatoire, et une oreille mutilée, c’était déjà au moins ça de gagné…
Sebastien Ébongué ne ressentit la douleur qu’après-coup. Il avait par réflexe voulu retenir son organe auditif qui s’était détaché instantanément de sa tête. Ce n’est que lorsque ce dernier atterrit dans la paume de sa main qu’il comprit enfin, médusé. Les hurlements qui s’ensuivirent furent semblables à ceux d’un cochon que l’on traînait à l’abattoir. À tel point que même Onguéné, pourtant habitué à voir des suppliciés, fut un bref instant saisi d’inquiétude.
« Cesse de crier ! Tu as encore une oreille. Dis-moi ce que je veux savoir et tu peux partir !! »
La douleur atroce qui le parcourait n’empêcha pas le jeune entrepreneur d’analyser rapidement ses options. Son corps, pourtant svelte, semblait être totalement boursouflé et le sang qui continuait de s’écouler abondamment de l’endroit où avait été son oreille droite quelques instants plus tôt, l’aveuglait désormais. Il était temps de cesser de jouer les héros.
« C’est la famille Tonyè. C’est madame qui m’a demandé de le lui trouver !!
— Tonyè Alain ? Celui des Marchés Publics ?
— Oui, oui, c’est bien lui…
— J’espère pour toi que tu ne me racontes pas des bêtises, hum ? Parce que je sais où tu habites…
— Héééé…Pardon…hééééééé…je jure ! Je jure !! », se lamenta le jeune homme, aux bords de l’évanouissement.
Philemon Onguéné se détacha de sa victime, fouilla un instant dans la broussaille autour de lui et découvrit un tissu crasseux qui avait dû servir de torchon dans une vie ultérieure. Il le jeta à l’entrepreneur qui l’attrapa en vol de la main gauche pendant que la droite tentait encore de stopper l’hémorragie.
« Prends et pose ça sur ta blessure. Et fout le camp ! Mais attention : si tu racontes ce qui vient de se passer, gaaaarrrrs… », termina-t-il sur un ton glacial et menaçant.
Sébastien Ebongué ne se le fit pas dire par deux fois et prit ses jambes à son cou, titubant et tombant à plusieurs reprises avant d’atteindre enfin la route principale salvatrice.
À la fois amusé et pensif, Onguéné essuya la lame ensanglantée sur son pantalon en toile de jean sale. Il sortit de sa poche un téléphone portable Nokia qui avait été rafistolé plusieurs fois avec de la bande adhésive. Sans plus attendre, il composa du bout des doigts un numéro qu’il semblait connaître par cœur et laissa sonner trois fois.
Une voix rauque à l’autre bout de la ligne engagea directement la discussion en s’épargnant les modalités civiques d’usage.
« Il t’a donné un nom ?
— Oui Gaston. Et tu le connais déjà… »
***
Elizabeth s’affairait déjà dans la cuisine, malgré les protestations de son époux qui lui avait demandé de ne pas se gêner à les servir puisqu’ils repartiraient dans l’immédiat. Elle en sortit avec un gros plateau, rempli de tasses, dont Pascal s’empressa de la débarrasser avec un grand sourire qu’elle lui rendit. Elle le connaissait et l’appréciait mais surtout, elle lui était incroyablement reconnaissante d’avoir sauvé la vie à son Joseph, ce soir-là. En outre, elle se sentait très soulagée de le savoir aux côtés de son homme dans ses combats quotidiens contre les malfrats de la République.
«Bonjour Kôssi, tu vas bien ? lança-t-elle souriante, en apostrophant Pascal par son petit nom d’enfance qu’il devait à son habilité à chasser le rat palmiste.
— Aka, on est là, Eli. Dis à ton mari qu’il va me rembourser mon carburant. J’ai dû traverser toute la ville pour venir le voir ici.
— C’est comme tu dis. Je lui ai fait comprendre que s’il se sentait déjà suffisamment bien pour passer ses journées à la maison à lire ses dossiers, il pouvait tout aussi bien le faire depuis le bureau.», ajouta-t-elle en riant.
Elle disparut ensuite à nouveau pour réapparaître avec une carafe de tisane qu’elle tendit à Joseph avant de refermer définitivement la porte d’entrée derrière elle, laissant les deux hommes seuls, assis face à face. L’inspecteur Pascal Étoundi savoura encore un instant l’air frais de la terrasse de son chef et ami.
Refugiés dans les grands manguiers de la concession, des oisillons affamés réclamaient à gorge déployée leur repas pendant que la brise faisait tomber les restes d’eau de pluie des gouttières de la maison coloniale du commissaire Atangana. Une atmosphère douce et chaleureuse à la fois. Sa tasse chaude dans les mains, Pascal s’arracha malgré lui à son idylle pour se pencher vers Joseph, assis devant lui sur un siège en rotin.
« Voila, tu connais tous les éléments de l’affaire dont nous disposons, engagea-t-il avant de continuer. Pour dire vrai, je ne sais pas par où commencer!»
Le commissaire Joseph Julio Iglésias Atangana s’adossa sur son siège, corrigea ses énormes lunettes au cadre noir et fixa un long instant son collaborateur sans rien dire. Ce dernier semblait avoir pris un coup de vieux. Sa barbe fournie qui lui donnait des aspects de jeune Burt Reynolds africain n’était plus si soigneusement taillée, il avait des cernes gigantesques sous les yeux qui indiquaient que ces derniers mois sans son chef n’avaient pas été de tout repos. Pascal Étoundi était beaucoup plus le travailleur de fond que le penseur. Mais ils étaient chacun absolument dépendants l’un de l’autre et se complétaient à la perfection. Cela faisait de la peine à Joseph de constater ainsi ce que son ami avait pris sur lui depuis son évacuation en Allemagne. Il balaya néanmoins rapidement ces pensées. Un ou plusieurs assassins particulièrement brutaux couraient toujours et rien ne garantissait qu’ils aient l’intention de s’en arrêter là. Désormais, il fallait reprendre du service et faire vite.
« Les marabouts n’ont pas de site internet que je sache, dit-il enfin.
— Bien sûr que non, répondit Pascal en souriant.
— Comment trouvent-ils leurs clients donc ?
— C’est surtout du bouche à oreille, je crois.
— OK, nous allons donc commencer par là. Il nous faut retrouver le client qui a averti la voisine du Marabout que quelque chose n’allait pas. Grâce à lui, nous pourrons éventuellement remonter à d’autres et ainsi reconstituer une partie de son carnet d’adresses. Demande à Mboudou et Mbarga de s’occuper de cela.
— Tu penses que c’est un de ses clients qui a fait ça ?
— Je pense que c’est une piste à suivre et un point de départ. Pendant ce temps, toi et moi allons rendre visite au médecin légiste, Dr. Bissiongol. A-t-il déjà commencé les autopsies ?
— Les dépouilles sont arrivées chez lui hier. Je pense donc que oui.
— Bien, allons-y donc. De là, nous aviserons. »
L’inspecteur sourit, soulagé. Son chef l’impressionnait sans arrêt par sa faculté de déduction ainsi que le calme et la confiance avec lesquels il opérait.
Le commissaire Joseph Julio Iglésias Atangana semblait désormais bel et bien de retour.
La chasse à l’homme pouvait enfin commencer.
Par Félix Oum
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Félix Oum
FÉLIX OUM
Félix Oum est né au Cameroun et a fait ses études en ingénierie à l’université technique de Berlin. Il travaille dans le domaine énergétique à Stuttgart. Il se passionne depuis des années pour le dessin et l’écriture, plus précisément l’écriture de poèmes et le travail à un roman. Très attaché à son Cameroun natal, il décide en Mars 2014 de se lancer dans la rédaction d’une série de nouvelles sur le quotidien des forces de l’ordre face aux réalités africaines avec l’intention affichée de donner ainsi à son pays son premier « Sherlock Holmes ».
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