SAISON 3 : Deux marabouts, un pasteur.

 ÉPISODE I : Entrée en lice

*****

«Mon frèrrrrre…ce sont les mbenguétaires !! On va faire comment?!!!»

Fabrice Ndjomo se gratta la tempe, nullement consolé par le constat défaitiste du vendeur à la sauvette en face de lui. Le jeune marchand qui balançait habilement des arachides grillées sur une cuvette en équilibre sur sa tête, soufflait comme une locomotive à vapeur et son haleine méphitique aurait pu rivaliser sans peine avec les déjections d’un putois. Fabrice l’ignora et s’essuya de dépit les grosses gouttes d’eau qui désormais ruisselaient de sa chemise en tissu pagne. Enfin, après un bref instant, il continua à se frayer tête baissée son chemin sur le trottoir hétéroclite du marché Mokolo, suivi seulement par les regards remplis de compassion des encombrants Baya-sellam, indignés de voir ce passant se faire éclabousser de la sorte par cette Mercedes dernier cri roulant à toute vitesse, conduite probablement par ces gens « d’en haut » ou fraîchement revenus d’Europe.

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Bien souvent les deux.

Heureusement, l’averse était passée et il atteignait déjà les premières bâtisses de Mokolo Elobi d’où s’élevaient des voix claires et manifestement très joyeuses qui récitaient des cantiques religieux.

Il hâta le pas.

«L’abbé» Mbengue Jean-Marie détestait les retards et les punissait généralement sévèrement. Il y a quelques années, un membre de « l’église » avait dû payer plus de 50.000 Fcfa pour avoir l’autorisation d’y remettre les pieds. Fabrice qui vivait de la main à la bouche des revenus précaires de son « pousse-pousse » ne se rappelait pas avoir jamais été en possession d’une telle somme en une fois. Il avait donc bien intérêt à ne pas se faire attendre.

« L’église de la résurrection du Christ sacrifié » avait élu domicile dans la demeure de l’un de ses membres, une maison brinquebalante en terre battue sur laquelle un maçon plaisantin avait arrimé tant bien que mal des morceaux de ciment peints à la chaux. La toiture menaçait de s’écrouler à chaque instant, ce qui expliquait probablement pourquoi les tabourets les plus proches de la porte d’entrée de l’édifice semblaient être particulièrement prisés par les fidèles. Ces croyants étaient de tout bord. Des jeunes hommes vêtus de chemises blanches et de pantalons noirs qui hurlaient leur dévotion les yeux rivés vers le ciel, des vieilles dames en “Kaba” qui tapaient frénétiquement dans leurs mains ridées, des adolescentes en foulard qui exécutaient des pas de danse passionnés semblables aux convulsions indicatrices de crises d’épilepsie.

Le quotidien d’une église dite « réveillée » du Cameroun.

Fabrice pénétra dans la pièce principale qui, du fait de la pluie et des coupures d’électricité intempestives, était plongée dans une sorte de semi-pénombre qui octroyait à l’atmosphère ambiante des allures de jugement dernier.
La petite fenêtre devant l’autel laissait filtrer à peine suffisamment la lumière du jour pour que l’on distingue l’abbé Mbengue Jean-Marie plongé dans la lecture d’un verset biblique. Il leva la tête un instant et aperçu enfin le jeune « pousseur » qui s’approchait de lui en enjambant silencieusement certains adeptes prosternés.

Mbengue prit un air grave.

« Marlyse, viens continuer la lecture ! », lança-t-il sur un ton autoritaire.

Marlyse, une jeune fidèle que l’abbé avait élevé au rang de sacristaine, probablement moins du fait de son attitude pieuse que de sa poitrine généreuse souvent serrée dans un chemisier volontairement trop étroit, s’avança à pas lents vers l’autel et continua la lecture du passage concerné en se donnant des airs de sainte nitouche.

Mbengue Jean-Marie fit signe à Fabrice Ndjomo de le suivre à l’extérieur et ce dernier, qui l’avait déjà presque rejoint, lui emboîta le pas.

Dehors, le ciel se dégageait à nouveau, les oiseaux s’étaient remis à chanter et seuls les caniveaux inondés dont les eaux encore déferlantes transportaient les derniers détritus des taudis en amont rappelaient l’orage qui venait de passer. Un début d’après-midi habituel pendant un mois de Septembre à Yaoundé.

Les deux hommes s’éloignèrent quelque peu de l’église afin de pouvoir s’entretenir à l’abri des regards. C’est sous l’avocatier aux feuilles d’un vert pimpant qui se trouvait dans la concession voisine désertée que Mbengue Jean-Marie s’arrêta enfin pour dévisager le jeune Fabrice. Il émanait de ce dernier l’odeur absolue de la pauvreté. Cette odeur qui indique la précarité du quotidien. La chemise en pagne laminée du parti au pouvoir qui recouvrait sa poitrine squelettique avait déjà vu des jours meilleurs et ses babouches en caoutchouc que les Camerounais surnommaient joyeusement et non sans raison « sans-confiance » semblaient avoir été rafistolées plus souvent qu’un joueur professionnel de hockey sur glace.

Mbengue tira de sa soutane blanche un paquet de cigarettes et s’en alluma une sans en proposer à son vis-à-vis. Il en tira nerveusement deux bouffées avant de lancer :

« Un voisin m’a appelé. Ils ont retrouvé les corps.

— Quand ?

— C’est important ?

— Non, répondit le « pousseur » honteusement; On fait quoi alors ?

— On attend. Peut-être qu’ils ne viendront pas directement à nous.

— Qui enquête ?

— Le 21ème… »

Le visage de Fabrice Ndjomo se décomposa littéralement. La sueur ruisselait soudainement de son front particulièrement sombre et sa respiration saccadée traduisait une inquiétude grandissante. Mbengue, jeta le mégot de sa cigarette à peine entamée par terre et empoigna le jeune homme avec fermeté.

« On ne va pas paniquer, hein! Eux aussi ne font pas la magie! On va rester calme…Tu m’as compris? dit-il sur un ton grave.

— Oui…Oui…mon père… », balbutia Fabrice qui avait manifestement beaucoup de mal à réprimer son envie de sangloter.

Une brise de vent fit trembler les feuilles de l’avocatier qui se libérèrent instantanément des dernières gouttes de pluie qu’elles avaient sauvegardées, forçant les deux hommes à quitter leur refuge. L’abbé, que la barbe grisonnante rendait plus vieux qu’il ne l’était vraiment, s’efforça de se donner une contenance.

« Tu vas aller là-bas et voir ce qu’ils font. S’il y a des indices qui pourraient mener à nous, tu reviens me le dire. Tu ne m’appelles pas au téléphone. On ne sait jamais. Moi je vais contacter Gaston. Peut-être qu’on peut profiter de la situation. »

Fabrice Ndjomo acquiesça sans rien ajouter. Il avait su que cet instant allait arriver. Il pensait toutefois avoir toutes les raisons du monde de s’inquiéter car si le 21ème s’en mêlait, il y avait de fortes chances que cette histoire se transforme très bientôt en véritable cauchemar pour chacun d’entre eux.

***

Narcisse Tchoumba était recroquevillé sur lui-même, comme si le pauvre bougre avait souhaité prendre la position du fœtus pour rendre son dernier souffle. La rigidité de sa dépouille laissait supposer qu’il était mort depuis plusieurs heures même si les énormes flaques de sang sur sa chemise grise paraissaient encore fraîches.

Il avait fallu de longues minutes à ses voisins qui l’avaient découvert ainsi pour casser la lourde chaîne qui obstruait le placard dans lequel il avait été enfermé. La police avait désormais tout le mal du monde à faire reculer les badauds qui affluaient en masse vers la minuscule maisonnette du sexagénaire sis au quartier Oyoma-Abang, entrée « Mongo Naâm Bar ».

« Chef, on aura besoin de renfort… », hurla l’officier de police Athanase Baudelaire Mbarga pour couvrir le brouhaha de la foule.

« Appelez le 15ème. Qu’ils nous envoient deux éléments. Et faites entrer un voisin. »

L’inspecteur Pascal Étoundi n’appréciait pas forcement être déconcentré lorsqu’il s’attelait à noter tous les détails d’une scène de crime mais étant le seul officier supérieur sur place, il allait de soi qu’il s’occupe également de bagatelles. Il transpirait dans sa veste trop étroite enfilée en prévision de la pluie qui s’annonçait à l’aube. Il n’aurait naturellement jamais pu s’imaginer qu’il serait appelé en fin de matinée sur la scène d’un double meurtre et se retrouverait coincé dans une pièce lilliputienne, entre des policiers bavards et une foule surexcitée qui lui donnaient déjà la désagréable sensation de suffoquer.

Il régnait dans la chambrette principale du bâtiment une âcre odeur de moisissure qui émanait probablement des différents bocaux autour des forces de l’ordre. Ils étaient remplis de substances inconnues et nauséabondes qui traînaient sur de vieilles étagères en bois dans lesquelles des termites grasses comme des phoques semblaient organiser des festins réguliers.

L’inspecteur Pascal Étoundi tira le rideau sale de la fenêtre laissant pénétrer la lumière feutrée du jour dont un faisceau se projeta sur la dépouille presque dénudée d’une jeune femme étendue sur le lit ensanglanté de la pièce. L’énorme plaie séchée sur sa nuque indiquait qu’elle avait probablement été assassinée dans son sommeil. Pascal Étoundi souleva délicatement ses rastas avec son stylo. Une bouche aux lèvres pulpeuses et un teint d’ébène particulièrement marquant étaient là des attributs qui permettaient d’affirmer sans crainte qu’elle avait été une très belle femme. Le désordre ambiant du lit et sa petite tenue, eux, semblaient être un signe clair que des ébats sexuels mouvementés avaient probablement précédés son décès.

L’un des policiers présents, un agent qui donnait l’air d’avoir ingurgité une antilope la veille, s’accroupit avec difficultés à côté de la dépouille dans un craquement de ceinture maltraitée. Il avait rarement vu autant de sang. Il dévisageait maintenant la jeune femme avec tellement d’attention que son chef, Pascal Étoundi, peu habitué à autant de zèle, ne put s’empêcher de se rapprocher de lui pour en avoir le cœur net.

« Vous avez constaté quelque chose, M. Mboudou ? »

L’officier de police Appolinaire Mboudou effleura le soutien-gorge en dentelle de la jeune femme du bout du doigt.
Il s’y connaissait.

En adepte de films pour adulte, il faisait augure d’encyclopédie pour tout ce qui révélait de la lingerie féminine.

« Marque Chantelle… » murmura-t-il.

Mbarga et Pascal le regardèrent, étonnés.

« Hein? lança finalement Mbarga, irrité.

— Son soutien. C’est Chantelle. C’est une marque chère. Ce n’est pas Aboré Zam Zam ça. »
Un vrai expert en la matière.

L’inspecteur Étoundi donna l’impression de suivre le raisonnement de son collaborateur. Il se tourna vers un autre jeune policier plongé dans la contemplation de divers objets posés sur le sol.

« M. Nkolo, avez-vous trouvé un sac à main ici ?

— Oui chef, au pied du lit à côté de vous. »

Toujours sans comprendre, Mbarga regarda son supérieur s’emparer du dit sac de couleur rouge qui semblait avoir coûté une fortune lui aussi. Une fouille rapide aboutie enfin sur le dévoilement d’un porte-monnaie en cuir.

« Près de 30.000 Francs dedans… », murmura Pascal.

Il pouvait désormais exclure un simple cambriolage des motifs potentiels de ce double meurtre.

« Où est le voisin que je vous ai demandé M. Mbarga ?
— C’est une voisine chef ! Elle attend devant la porte!
— Faites-la entrer s’il vous plaît. »

Mbarga ressorti de la pièce un bref instant, jeta un coup d’œil circulaire dans la foule amassée devant la maisonnette et retrouva aisément la dame qu’il cherchait. Il s’agissait d’une jeune femme en rastas, vêtue d’un jean définitivement bien trop petit dont le tissu martyrisé avait par ailleurs d’énormes difficultés à contenir un postérieur gargantuesque et indépendantiste.

Il lui fit signe d’entrer.

Elle s’exécuta avec une mine de dégoût en évitant soigneusement de tremper ses pieds dans les mares de sang qui s’étendaient du lit au placard.

« Bonjour madame. Vous vous appelez comment ? demanda l’inspecteur Étoundi.

— Moi c’est Mireille, monsieur.

— Mireille qui? les Yaoundéens ne donnaient jamais de réponses claires dès la première question.

— Mireille Ondoua, monsieur.

— Madame Ondoua, pouvez-vous nous dire qui sont ces deux là ? Nous avons retrouvé leurs cartes d’identités. Lui c’est apparemment Narcisse Tchoumba et elle c’est Élodie Takam. Pouvez vous le confirmer ?

— Monsieur, moi je ne veux pas les problèmes !

— Vous n’en aurez pas, assura l’inspecteur, déjà quelque peu exaspéré.

— Oui, son nom à lui c’est bien ça mais tout le monde ici l’appelle «Pasto».

— Pourquoi ?

— Parce qu’il soigne les gens. C’est un marabout. »

Enfin un début d’explication au sujet des divers bocaux et babioles exotiques qui submergeaient la petite pièce.

« Et elle ? continua l’inspecteur en pointant du doigt le corps étendu sur le lit.

— Moi je ne la connais pas. Certaines femmes payent aussi en nature hein… «Pasto» changeait les femmes chaque semaine, même comme il était vieux là…, elle ne put s’empêcher d’esquisser un sourire presque admiratif.

— Quand avez-vous vu monsieur… «Pasto» la dernière fois ? continua Pascal en se reprenant.

— Ça va faire même trois jours comme ça…C’est un client qui voulait le voir qui est venu cogner chez moi en disant qu’il y avait une mauvaise odeur qui sortait de la maison. C’est comme ça que j’ai appelé les gaillards du quartier pour qu’on aille voir. On les a trouvés comme ça là…

— Il avait des ennemis dans le quartier ?

— Moi je ne sais pas monsieur. Une chose est sûre, moi je n’ai jamais vu qu’il se querellait avec quelqu’un.»

D’un bref hochement de tête, l’inspecteur fit signe à Mbarga de raccompagner la jeune femme vers la porte. Il savait qu’il n’obtiendrait d’elle probablement plus aucune information pertinente.

Nkolo, le jeune officier de police semblait avoir une question qui lui brûlait les lèvres:

« Pardon Chef…mais, si c’était un mari jaloux qui avait fait cela?»

La remarque n’était pas bête. Pascal Étoundi prit une longue inspiration, se gratta la tempe un instant et répondit enfin après une interminable minute de réflexion.

«Non, je ne pense pas. La dame a été tuée d’un seul coup. Si vous étiez le mari cocu vous vous acharneriez aussi bien sur l’homme que sur votre épouse. Là, il semble que Pasto ait subi seul la colère de l’assassin. Toutefois, M. Nkolo, je pense qu’il faudra lancer des communiqués à la radio. Il faut qu’on retrouve la famille de cette fille et que l’on s’en assure.»

Le jeune Nkolo acquiesça sans rien dire. L’inspecteur Étoundi pouvait probablement exclure au moins cette hypothèse mais n’arrivait toujours pas à trouver le fil conducteur de cette affaire.

Perplexe, il tourna encore en rond quelques instants sous le regard inquisiteur de ses collaborateurs. Malgré ses grands efforts de réflexion, ses premières déductions ne rimaient pas à grand-chose. Il était désormais temps de faire entrer en lice quelqu’un de nettement plus compétent que lui sur ce type d’enquêtes.

Par Félix Oum

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Vendredi Polar Saison 1

À propos de l’auteur
Félix Oum

Félix Oum

FÉLIX OUM

Félix Oum est né au Cameroun et a fait ses études en ingénierie à l’université technique de Berlin. Il travaille dans le domaine énergétique à Stuttgart. Il se passionne depuis des années pour le dessin et l’écriture, plus précisément l’écriture de poèmes et le travail à un roman. Très attaché à son Cameroun natal, il décide en Mars 2014 de se lancer dans la rédaction d’une série de nouvelles sur le quotidien des forces de l’ordre face aux réalités africaines avec l’intention affichée de donner ainsi à son pays son premier « Sherlock Holmes ».

 

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