Quand on échange avec Laetitia Ajanohun, on est tout de suite frappé par la passion qu’elle dégage quand elle parle de théâtre et d’écriture. Nous nous sommes entretenus avec elle dans le cadre de l’événement Afropéennes – Afropäerinnen, une série de quatre lectures de textes et performances théâtrales organisée par l’association allemande Drama Panorama, association qui met en relation les traducteurs et les auteurs de théâtre. Les textes sélectionnés pour cet événement ont été écrits par des femmes (Penda Diouf, Eva Doumbia, Rébecca Chaillon et Laetita Ajanohun) qui s’approprient artistiquement le concept d’«Afropéannité» de différentes manières. La version allemande de la pièce Love is in the Hair de Laetitia Ajanohun est mise en scène par Miriam Ibrahim et sera jouée ce 22 octobre 2020 à Berlin.

Afrolivresque – Vous êtes auteure, metteure en scène et comédienne de théâtre. Pourquoi avoir choisi cette forme d’expression artistique? Vous auriez aussi pu faire du cinéma ou écrire des romans par exemple…

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Laetitia Ajanohun – J’aime beaucoup le rapport au direct et l’écriture théâtrale. J’aime la littérature et j’aime aussi avoir un rapport avec le public. Depuis toute jeune, j’ai fait du théâtre. C’était mon langage premier.

Quelle est la différence fondamentale entre l’écriture théâtrale et celle d’un roman selon vous?

L’écriture théâtrale cherche la parole. Elle cherche à être dite. Pour moi, elle n’existe véritablement que quand elle est dite. Cela veut dire qu’elle peut être lue, mais elle a vocation à être portée. L’écriture théâtrale se mêle au corps et à la voix d’un comédien ou d’une comédienne. C’est en tout cela qu’elle est différente de l’écriture d’un roman.

Quelle a été l’inspiration de la pièce Love is in the Hair?

Cette pièce est une commande d’écriture du metteur en scène et directeur de la compagnie For Happy people & Co, Jean-François Auguste. Il m’avait demandée de me questionner sur que veut dire être noir en France aujourd’hui, et d’aborder ce sujet par le prisme des cheveux. Il se posait la question de savoir pourquoi les femmes afro-descendantes portaient très rarement leurs cheveux naturels. Voilà ce qui était le postulat de départ pour l’écriture de cette pièce. Plusieurs pistes d’écriture s’ouvraient à moi. J’ai eu envie de montrer la multiplicité d’êtres et d’individus, car il n’existe pas une seule façon d’être noir. J’ai eu envie de déconstruire les représentations mais de jouer avec elles aussi.

Comment s’est déroulé le processus créatif de la pièce?

Pendant un an et demi, nous avons beaucoup lu. Nous avons aussi beaucoup échangé et conversé avec des afro-descendants. A partir de cela, nous avons développé une écriture théâtrale fragmentaire qui prend en compte sept comédiens. Love is in the Hair c’est sept histoires racontées avec des styles différents. La pièce peut parler à la fois de ce que peut être une famille issue de l’immigration dont les parents sont arrivés d’ailleurs et les enfants nés en France, et en même temps parler des rapports intimes entre un immigré et un français  de souche. Nous questionnons les secrets, les non-dits. Nous avions fait le constat que très souvent, les noirs les plus visibles sur les plateaux sont les humouristes. Nous avons donc opter pour un format de stand-ups pour explorer ces intimités.

La pièce est une expression artistique très engagée, comme la plupart de vos créations. Quelle est votre approche sur la question de l’engagement dans l’art?

Mon père me disait que si je prends parole, je dois avoir quelque chose à dire. Quand on prend parole, on doit avoir un positionnement, un regard particulier. Si tu n’as rien à apporter, tais-toi. Les corps noirs sont très peu visibles, ont très peu de parole dans certains espaces. Il est important pour moi de rendre ces espaces visibles sur un plateau en France ou ailleurs où c’est nécessaire.

Love is in the Hair est présentée à Berlin dans le cadre de l’événement « Afropéennes – Afropäerinnen », une série de lectures et performances théâtrales. Quel regard portez-vous sur ce concept d’afropéannité?

C’est une question complexe…(rire). Je n’aime pas me nommer parce que je me sens multiple. Mon père est béninois et ma mère est belge. Evidement je suis africaine et européenne. J’ai découvert le continent quand j’avais seize ans. Je suis en quête de mes multiples identités; mon identité en tant que femme, en tant qu’artiste, en tant que métisse, etc… On peut dire que l’afropéannité est une identité qui se construit. Elle n’est pas statique. Je suis peut-être afropéenne entre autres.

Quels sont vos projets à venir?

Love is in the Hair est entrain d’être éditée en allemand aux éditions Neofelis dans une anthologie qui sortira en février 2021. Cette anthologie dont le titre est Afropäerinnen, comporte aussi les textes de Rébecca Chaillon, Penda Diouf und Eva Doumbia. Si les restrictions sanitaires le permettent, je serai dans deux semaines à Lubumbashi, où je ferai la mise en scène de la pièce Jazz de l’ivoirien Koffi Kwahulé, et Love is in the Hair sera joué à Paris en novembre.

Par Acèle Nadale

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