Une nouvelle d’Eleka Eladan
EPISODE I : TICKET POUR WEDDING
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Au moment où me viennent ces mots à l’esprit, je suis assise dans un train quelque part dans la France. Et comme d’habitude, sans le vouloir, j’observe ceux et ce qui m’entourent. Les mots et les images font des va-et-vient dans ma tête. Très souvent, je ne les exprime pas sous forme écrite, mais cette fois-ci j’ai décidé de le faire; il y a bien un début à tout.
Je ne vis pas en France, mais j’y vais très souvent car une grande partie de ma famille y réside. À chacune de mes arrivées dans ce pays, à Paris plus précisément, je suis fascinée par l’énergie parfois oppressante de cette ville. Ça bouge, ça court, ça parle, ça rit aux éclats mais…
Pour quelqu’un comme moi qui vit depuis 20 ans à Berlin, le porte-monnaie se révolte, fait une grève de la faim et hurle dès qu’il approche Paris. Pourtant, il n’y a rien de mieux que de prendre un café dans un bar parisien bondé de monde, où l’inconnu voisin de table n’a pas besoin d’être un expert à la NSA pour savoir le contenu des discussions des gens qui l’entourent; la douleur au portefeuille est compensée par cette chaleur humaine. Oui, ça vaut le coup. Et tout ceci n’a pas changé malgré les derniers attentats du 13 novembre 2015. Heureusement, d’ailleurs! À propos, si vous décidez de vous y rendre ces jours-ci, prévoyez au minimum 30mn d’attente debout pour le contrôle d’identité à votre descente d’avion. Avis donc aux femmes en high heels. Ça chauffe et ça fait mal, deh!
Les villes, les lieux ou les espaces ont une âme. On a parfois l’impression qu’ils ont aussi un cœur qui bat au rythme des personnes et des histoires qui les habitent, qui les traversent. Et comme tout cœur, ils peuvent vivre des moments de joie, de peur, de peine, de questionnement, mais surtout d’espoir. Certains lieux sont nos refuges, nos « Chez nous » ; d’autres sont des prétextes d’escapades, de fuite, et d’autres peuvent parfois exprimer des rêves que peut-être nous ne réaliserons jamais. Mais, ça n’est pas grave. La vie est ainsi magnifique!
Moi dans ce train, dans cet espace en mouvement, à laisser voyager mes pensées, cela m’a donné envie de vous parler d’une rencontre littéraire qui m’a interpellée sur l’impact qu’ont certains lieux sur nous, et sur les empreintes que nous y laissons.
Il y a une semaine, j’ai assisté à Berlin à un débat littéraire dont le sujet principal était « L’arrivée », cet instant chargé de ce quelque chose lorsque nous arrivons quelque part. Quand mon ami Steve Mekoudja (je vous raconterai un autre jour dans un autre billet qui c’est et comment nous nous sommes connus , ça vaut vraiment le détour) m’a envoyé une invitation pour cette rencontre, j’ai prié que mon agenda me permette d’y aller. Je n’aurais peut-être plus eu l’occasion de rencontrer les trois brillants auteurs qui y seraient, et bien sûr, John Freeman, le modérateur de la rencontre, éditeur et promoteur passionné de littérature. Qui sont-ils ? J’y reviendrai plus tard.
À la lecture du thème des débats, ma première interrogation était de savoir dans quel espace et dans quel quartier il allait se tenir. Un coup d’œil sur l’adresse indiquée et grand fut mon étonnement! Que lisais-je ? Wedding*! Pour ceux qui connaissent Berlin, vous me comprenez. Pour les autres, je vous explique.
À l’image de toutes les grandes villes occidentales, il existe de « beaux quartiers » à Berlin, réservés aux riches ou à une certaine classe moyenne. En général, cette partie de la classe moyenne voudrait qu’on pense d’elle qu’elle est riche et pas comme les « autres » de la même classe. Pour avoir un logement dans ces quartiers, il n’est pas conseillé de s’appeler « Atangana », ou pire encore « Alemdaroğlu ». Doté d’un super boulot, d’un casier judiciaire et d’un fichier Schufa** sans fautes, vous pouvez accumuler de bons points et espérer faire partir des heureux élus. C’est comme ça. On n’y peut rien (enfin, je le pense hein) ; comme quelqu’un avait dit dans le pays où mon train traverse un champ de vaches au moment où je vous écris, « ce pays, tu l’aimes ou tu le quittes ». Ne me demandez surtout pas de qui il s’agit, j’ai oublié son nom. Je disais donc tantôt, qu’il y a les « beaux quartiers » d’un côté, et puis il y a Wedding de l’autre (entre autres, bien sûr).
Wedding est un quartier populaire du nord de Berlin qui, petit à petit, s’est peuplé au fils des années de populations venant d’ailleurs : turcs, camerounais, ghanéens, pakistanais, chinois, nigérians, guinéens, marocains, tunisiens, algériens, congolais, etc. Dans certains pays on les appelle « minorités visibles ». Tout ça pour éviter les mots noirs, arabes etc. Ah, que j’aime les mots et leur puissance ! Ils ont une manière si spéciale de nous apprivoiser, bien que nous essayions toujours de masquer notre être profond en les tordant de manière ridicule. Ironie du sort, Wedding est le quartier où l’on retrouve beaucoup de rues dont les noms rappellent étrangement le passé colonial de l’Allemagne en Afrique. Wedding est donc un quartier d’immigrés ou de migrants ? expatriés ? réfugiés ? Je ne sais plus. Choisissez à votre guise ce qui vous fera mieux dormir le soir. Je ne veux en aucun cas être responsable de vos luttes sémantiques de conscience.
À priori, Wedding est un quartier où l’art et la culture des beaux salons ne sauraient avoir leur place; un de ces quartiers où à priori les jeunes seraient désœuvrés, ne se projetteraient pas dans l’avenir, n’auraient pas l’intellect qu’il faudrait pour mieux comprendre les choses qui élèvent l’esprit. Ça, c’est ce que j’entends souvent à la télé. En passant, j’ai vécu plus de 10 ans à Wedding avant d’aller voir ce qu’il y avait dans les « beaux quartiers ». Je ne pense pas en être ressortie plus tarée qu’à mon arrivée. Donc comme dirait un camerounais qui pense détenir le secret de la date du retour de Jésus sur terre, « je sais de quoi je parle »…
À suivre…
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