SAISON 2 : AMITA LA DANGEREUSE

 ÉPISODE 8 : Face à face

*****

AAppolinaire Mboudou s’était mis sur son 31. Il avait réussi après de longues minutes d’efforts à attacher une ceinture en cuir qui se refusait farouchement à s’étendre encore plus sous la pression de sa bedaine adipeuse. Sa chemise blanche, elle, avait déjà pris la couleur jaunâtre locale mais il n’y prêtait guère attention. À son odeur corporelle encore moins d’ailleurs, une outrance d’eau de Cologne de mauvaise qualité. Athanase Baudelaire Mbarga l’acompagnait, plus sobrement vêtu d’une chemise verte à courtes manches et d’un Jeans bon marché. Les deux policiers arpentaient lentement une ruelle à l’entrée « Petite voirie » du quartier Tongolò à la recherche du « Garage des stars », une main posée sur leurs sourcils afin de se protéger les yeux de rayons de soleil particulièrement impertinents en ce milieu de journée radieuse. Devoir travailler pendant que d’autres passent à table n’était point du goût de Mboudou et n’allait pas pour améliorer son humeur déjà exécrable. Il enviait ce monde qui, en pleine pause de midi, riait, buvait et se frottait aux prostituées ou aux serveuses des bars environnants. Il aurait volontiers fait pareil. Au lieu de cela, sur la demande explicite du commissaire Atangana, il avait dû se mettre en civil afin de ne pas ameuter inutilement les habitants du quartier et se devait désormais d’enjamber des piles d’ordures et de sauter au-dessus de caniveaux comme une figure connue d’un jeu vidéo marque Nintendo, à la recherche d’une éventuelle ultime information permettant de résoudre l’homicide d’Amita la dangereuse. Il en maudissait son supérieur qui leur avait demandé d’aller interroger à sa place ce garagiste dont ils ignoraient presque tout. Lui-même se rendait à un mystérieux rendez-vous sans en préciser ni le lieu, ni la raison. L’inspecteur Étoundi n’avait toujours pas donné de signe de vie depuis son départ précipité pour Bertoua quelques minutes seulement après l’attentat. Aucun éclaircissement ne leur avait été donné et cela était particulièrement frustrant de ne point disposer de toutes les pièces du puzzle.

Mbarga, pour sa part, ressassait les conclusions du médecin légiste, monsieur Bissiongol, qui avait mené l’autopsie de la chanteuse. Les mêmes conclusions avaient déjà été tirées par le commissaire une semaine auparavant, et ce, juste à l’aide d’observations faites sur la scène du crime. Maintenant, ils en avaient au moins la confirmation officielle. L’un des détails du rapport qui frappait le plus Mbarga était le fait que la diva avait les bras croisés sur sa poitrine, une position chrétienne qu’elle ne pouvait avoir prise elle-même et qui ne pouvait donc qu’être post-mortem. Le commissaire avait soupçonné que l’assassin était probablement un proche de la victime, qui regrettait sûrement son geste. Cela aurait pu être tout aussi bien valable pour Aymeric Angouan’d que pour monsieur Muguet, mais un peu moins pour Turbo Zoua Zoua, qui ne lui vouait pas une affection particulière.

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Quel que soit le cas, les chocs violents et manifestement répétitifs constatés sur la carrosserie du véhicule de la jeune femme, et qui étaient probablement à l’origine de sa sortie de route, et ce, malgré les nombreuses traces de freinage prouvant qu’elle avait voulu jusqu’au dernier instant éviter l’accident, témoignaient autant d’un caractère passionnel que prémédité de l’acte.

Le quartier Tongolò était un bidonville à ciel ouvert. Du fait de sa proximité du palais présidentiel, ses habitations situées en bordure de route et visibles pour les invités de rang qui étaient régulièrement de passage, avaient été repeintes et rafistolées à la va-vite. Il suffisait toutefois de descendre de sa voiture quelques instants et de traverser le premier pâté de maisons, pour découvrir l’effroyable misère de la capitale, à quelques encablures seulement du cœur du pouvoir central.  Meva’a André, le « Garagiste des stars », comme il était indiqué sur la pancarte noirâtre devant son établissement, correspondait exactement à ce que l’on s’attendait être un habitant de ce quartier. L’homme était une caricature de la pauvreté. Son visage osseux, sa peau d’un sombre sale et ses chicots jaunâtres étaient autant d’attributs qui confirmaient chaque cliché de cette Afrique de désolation, décrite par ces occidentaux privilégiés qui n’avaient jamais mis un seul pied sur le continent. Son garage n’était rien d’autre qu’un amoncellement de pièces détachées de véhicules de toutes marques, semées çà et là dans sa cour lilliputienne, à quelques pas seulement de la première rangée de maisons encore présentables. Une petite cabane en briques de terre et aux tôles rouillées lui servait aussi bien de bureau que d’habitat. En outre, il possédait comme animaux domestiques, deux chiens galeux qui vivaient continuellement en mode « épargne d’énergie » et qui se cachaient du soleil et des coups de pieds de leur maître sous des carcasses de voitures, léchant leurs plaies immondes et rêvant probablement de cuisses de poulets juteuses ou de mollets charnus de jeunes écoliers. La faim rendait flexible.

Meva’a faisait sa pause de l’après-midi, assis sur un vieux banc devant sa case. Il n’avait pas mangé grand-chose depuis la matinée et devait se contenter de sucer un bout de canne à sucre. Dans sa main gauche, il tenait en outre un demi-verre de vin de palme qu’il sirotait avec parcimonie. Probablement son seul véritable repas de la journée. Ses voisins qui n’étaient pas sortis de chez eux pour vaquer en ville à une quelconque occupation, s’étaient réfugiés dans leurs domiciles et n’en ressortiraient sûrement pas avant la tombée de la nuit. Ce n’est donc pas aujourd’hui qu’un client se présenterait, se dit Meva’a. Sa surprise n’en fût que plus grande lorsqu’il aperçut les deux policiers se diriger vers lui en se frayant un chemin au travers des immondices du quartier.  Par précaution, il cacha son verre de vin de palme derrière son banc et se leva précipitamment. Mbarga, le plus grand des deux visiteurs, s’avança vers lui la main tendue. Son visage n’était pas inconnu à André Meva’a mais le cerveau de ce dernier, inhibé d’alcool, se refusait depuis belle lurette à s’adonner au jeu des devinettes. Il s’essuya hâtivement les mains sur sa salopette de travail noire de cambouis. Malgré cette opération, leur propreté laissait néanmoins toujours fort à désirer. Mbarga ne sembla pas s’en offusquer et le salua quand même.

« Bonjour Monsieur. Je m’appelle Mbarga. Officier de police. Mon collègue, monsieur Mboudou. »

Mboudou, derrière, transpirait déjà des seaux de sueur.

« Ben voilà ! C’est bien eux, ils étaient en titre d’un journal avec leur commissaire suite à l’arrestation du gang des barbares ! », se dit Meva’a dont les cellules cérébrales se félicitaient chaleureusement d’avoir obtenu cette information sans fournir de gros efforts.

Mboudou ne lui tendit pas la main mais resta en retrait en inspectant de manière soupçonneuse la petite cour sale et surchargée. Meva’a, pour sa part, s’arracha un sourire affable qui dévoila une dentition en guerre contre un empire de caries.

« Oui Messieurs ! Bonjour, bonjour… ! Je peux vous aider ? dit-il avec un fort accent Bulu.

— Oui, nous avons une ou deux questions…Vous avez un peu de temps ? »

Mboudou ricana sans rien dire. Le temps était indéniablement la seule richesse du garagiste.

Ce dernier ne s’en offusqua pas pour autant et proposa son banc à Mbarga qui le refusa poliment. Mboudou ne le regarda même pas. Refuser de tendre la main au bonhomme pour ensuite accepter de s’asseoir sur ce banc crasseux était tomber de Charybde en Scylla.

« Vous connaissez Monsieur Antoine Giscard Ébodé ? »

Devant le regard hagard de l’ouvrier, Mboudou clarifia, toujours sans détourner son regard des vieilles pièces détachées :

« On parle de Giresse…

— Ah oui, monsieur Giresse…Oui, bien sûr !

— C’est vous qui avez réparé sa voiture ? »

Meva’a ne pût cacher sa surprise.

« …Oui monsieur. Comment vous savez ça ?

—   Nous avons nos informations. », rétorqua Mboudou pompeusement, toujours sans se retourner. »

Il reposa la pièce de moteur qu’il avait dans les mains, tira un mouchoir jetable d’un paquet de sa poche et s’essuya les doigts démonstrativement.

« On peut voir la voiture ? »

Au Cameroun, on s’embarrassait rarement de mandats de perquisition. Une de ces rares choses dont leur chef, le commissaire Atangana lui-même, ne se plaignait pas forcement dans l’exercice de ses fonctions, même s’il était persuadé que sur ce point également, un certain degré de rigueur devait désormais être de mise.

« Mon petit l’a conduit dans le quartier pour vérifier si tout va bien.

— C’était quoi le problème ? »

— Monsieur Giresse m’a dit qu’il a cogné un phacochère à l’Est, là-bas, il y a plusieurs semaines. Il a fallu refaire une partie de la carrosserie et remplacer une ou deux pièces. Comme monsieur Giresse a besoin de la voiture, j’ai dû travailler vite. Heureusement que les biafrais ont toujours les pièces de rechange moins chères. Là on a fini. Il vient demain soir la récupérer. »

Suivant une intuition, Mbarga demanda :

« Dites-moi, quand est-il venu déposer la voiture ?

— Comment ça ?

— Comment, comment ? Tu ne comprends pas la question ? Mboudou n’aimait pas les interrogatoires qui s’éternisaient.

— Il était ici Dimanche, la semaine dernière.

— Vous travaillez le dimanche ?

— Oui monsieur, on va faire comment ? On ne peut pas refuser l’argent.

— Vous n’êtes sûrement pas le seul mécanicien à travailler le dimanche, relança Mbarga, pourquoi venir spécialement chez vous ?

— Ah, il est souvent dans le quartier. On se connaît.  Il était déjà ici depuis le vendredi. Il y a une auberge à côté-là. Elle s’appelle « Le Patron ». C’est là qu’il a dormi tout le week-end dernier. Ça arrive souvent. »

Mbarga avait entendu parler de cet établissement. Il s’agissait là d’une des adresses les plus infâmes et connues de la ville, surtout lorsqu’il était question de passer du bon temps avec un deuxième bureau, dans une ambiance feutrée, sans avoir à craindre l’apparition de son épouse armée d’un gourdin ou pire, d’un pieu à piler du plantain mûr.

Le ronflement d’une voiture les fit tous sursauter. Le « petit » du garagiste venait de faire son entrée dans la cour au volant d’une Toyota Carina bleue dont l’aile droite avait été complètement refaite mais pas encore repeinte. Cette dernière détonait dans un gris métallique fraîchement poncé. Le « petit » était un géant de 2m dont le corps squelettique aurait pu servir de modèle pour un cours d’anatomie d’une classe de 1ère scientifique.

Il s’extirpa plus qu’il ne descendit du véhicule et rendit les clés à son chef sans rien dire. Il s’assit sur le petit banc, sa main se dirigea machinalement derrière lui pour s’emparer de ce qui restait du vin de palme, au grand désarroi de Meva’a.

Mbarga sourit en lui demandant :

« Jeune homme, on ne vous a pas appris à dire bonjour ? »

Rouge de colère, le garagiste siffla entre ses dents :

« Monsieur, je vous dis qu’heinnn…La jeunesse d’aujourd’hui vraiment… !!! » Son accent était tellement prononcé qu’il aurait pu avoir fait son commentaire en langue Bulu que personne n’aurait saisi la différence.

Le « petit », imperturbable, vida néanmoins d’abord le verre avant de se lever nonchalamment et comme son patron, s’essuya sa main de gringalet sur son jean sale avant de la tendre aux deux policiers.

« Bonjour messieurs. »

Mboudou esquiva à nouveau la poignée de main. Mbarga, imitant ses chefs Atangana et Étoundi, alla droit au but :

« Alors, tout est réparé ? dit-il en désignant le véhicule du doigt.

— Oui Monsieur, répondit le petit sans détours. C’est seulement le cadrant qui fait un peu de problèmes. Le choc était dur. Mais elle peut d’abord rouler comme ça. On va faire la peinture la semaine prochaine. »

Mboudou contournait déjà la voiture. Après des années passées à rafistoler la sienne, il était devenu un coryphée dans la matière. L’inquiétude de Meva’a qui l’observait depuis un bon moment ne lui échappa pas pour autant :

« Je veux juste contrôler quelque chose, assura-t-il. Je peux avoir les clés ? »

Le garagiste les lui jeta et l’officier de police les cueillit au vol. Il ouvrit la portière, s’installa derrière le volant et démarra le moteur. Il inspecta également un bref instant la boite à gants.

« Il a tout pris quand il nous a laissé la voiture ! assura le petit.

— Tout c’est quoi ?

— Son deuxième portable et les papiers du véhicule.

— Son deuxième portable ?

— Oui, avec l’autre il téléphonait avec quelqu’un… »

Il était très inhabituel au Cameroun de ranger son téléphone portable dans une boîte à gants d’où il aurait facilement pu être dérobé. Depuis l’apparition du smartphone, ces joujoux étaient devenus les symboles extérieurs de richesse les plus prisés des yaoundéens. Ils les gardaient en permanence sur eux et les défendaient au péril de leurs vies si nécessaire.

Mboudou laissa ronronner le moteur quelques instants en donnant de temps à autre des coups d’accélérateur et en faisant une moue de connaisseur. Puis, il le coupa dans un hoquet, inspecta quelques instants l’intérieur du véhicule et en ressortit satisfait.

« Le pare-brise a également été changé n’est-ce pas ?

— Oui monsieur ! » répondit le petit à la place de son chef.

Mboudou se retourna vers son collègue :

« Pour que le pare-brise s’abîme de cette manière, le choc a dû forcement être frontal. Toi tu connais des phacochères qu’on cogne d’abord sur le côté et qui après bondissent sur le pare-brise ?

— Peut-être pour se venger du chauffeur… », suggéra Mbarga, un sourire en coin avant de continuer à l’attention du garagiste.

« Nous en avons terminé pour l’instant. La voiture là ne bouge pas tant que nous n’avons pas dit le contraire. »

Meva’a n’avait rien compris. De toutes les manières, il n’y avait qu’une seule chose qui l’intéressait :

« Je dis quoi à monsieur Giresse ?

— Vous n’aurez pas besoin de lui dire quoique ce soit. Mon chef lui aura probablement parlé entre-temps de toutes les manières… »

 

*****

Un claquement de porte.

C’est tout ce que l’on entendait dans ce couloir sombre. De temps à autre, un homme sortait d’un des bureaux, les bras chargés de dossiers, le regard rivé vers le sol, marchant à pas hâtifs pour disparaître à nouveau derrière une autre porte.  Le silence était pesant et l’atmosphère lourde. Il sembla que tout était fait pour que l’on ne se sente point à l’aise dans le nouveau bâtiment de la sûreté nationale.

Le soldat qui accompagnait le commissaire Joseph Julio Iglésias Atangana avait une mine patibulaire et ne donnait pas vraiment l’impression de vouloir lui faire la conversation. Ses tentatives pour la lancer s’étaient soldées par des grognements à peine audibles de son guide et le policier s’était finalement résolu à marcher silencieusement à ses côtés.

Le couloir sembla enfin s’achever. Une dernière porte et le commissaire se retrouva dans un bureau qui sentait la peinture fraîche. Une minuscule fenêtre derrière de lourds barreaux laissait pénétrer un mince faisceau de lumière du jour. Malheureusement pas suffisamment pour illuminer toute la pièce. Cette dernière était donc plongée dans une semi-pénombre qui, avec le mobilier disparate, avait des allures de salle d’interrogatoire de la CIA à Guantanamo. On en était d’ailleurs probablement pas très loin.

Le soldat lui tendit l’une des chaises devant un secrétaire en bois verni et disparut sans mot dire en laissant la porte ouverte derrière lui.

Une inquiétude assez diffuse envahissait le commissaire. Était-ce vraiment une bonne idée d’être venu ici tout seul ? Son fidèle ami et collaborateur, l’inspecteur Pascal Étoundi, qu’il avait envoyé spontanément à Bertoua la veille, n’avait toujours pas donné de signes de vie. Il est vrai que lorsque l’on sortait des centres urbains d’importance, la communication mobile au Cameroun devenait une question de chance mais également de positionnement géographique. Il fallait donc identifier le mètre carré dans lequel on avait le « réseau », secteur que l’on partageait parfois avec une dizaine d’autres personnes, et ne plus en bouger. Tant pis si on était régulièrement sujet à des crampes. Trouver le bon endroit, lorsqu’on ne connaissait pas la ville, relevait quasiment de l’impossible. En attendant donc d’être contacté par son collaborateur, le commissaire n’avait donc pas eu d’autres choix que de se rendre seul à la très crainte « Sûreté Nationale » pour y rencontrer l’un de ces hauts profiles qu’on y internait souvent avant leur « jugement » et leur déferrement à la seule prison officielle de la capitale, la prison de Nkondengui.

Des pas dans le couloir.

Le soldat était de retour et marchait derrière un homme âgé de grande carrure. Les cheveux blancs de ce dernier se mélangeaient à une barbe fournie de la même couleur. Ses vêtements simples, un pantalon noir et une chemise blanche, n’amoindrissaient nullement son allure distinguée. Le soldat tira la seconde chaise de la pièce et pesa de la main gauche sur l’homme afin que ce dernier y prenne place. Toujours sans mot dire, l’homme en tenue se retira et referma la porte derrière lui. Sa lourde respiration laissait néanmoins deviner qu’il s’était mis en faction devant. Il ne voulait probablement prendre aucun risque.

Le vis-à-vis du commissaire cligna des yeux, croisa les jambes et dévisagea ce dernier de longues secondes sans rien dire. Enfin, il se courba vers lui et se donna un ton jovial qui sonnait particulièrement faux.

« Monsieur le commissaire. Comment allez-vous ?

— Assez bien lorsqu’on sait que je viens d’échapper à un attentat que vous avez fomenté, monsieur le commissaire ! »

Le commissaire Alexandre Evouna prit un air faussement offensé.

« Mais que racontez-vous là ? Que puis-je faire ? Vous voyez bien que je suis enfermé ici jusqu’à mon jugement la semaine prochaine.

— Arrêtez de faire l’innocent. Vos hommes avaient un téléphone portable. Celui qui a décroché m’a conseillé de vous rendre visite à l’occasion.

— Hum, le fruit du hasard monsieur le commissaire…

— Hasard ? Que mon collègue et moi soyons attaqués en plein cœur de Yaoundé par des gens du nord ? Les mêmes qui, d’après nos informations, faisaient partie du gang des barbares que j’ai moi-même mis sous les verrous ?

— Apparemment vous en avez oublié quelques-uns…Mais je ne vois pas pourquoi vous pensez que j’ai quelque chose à voir avec ça.

— Parce que c’est vous qui leur livriez leurs armes qu’ils utilisaient pour leurs braquages. Et vous en profitiez. C’est d’ailleurs pour cela que vous êtes ici aujourd’hui.

— Monsieur le commissaire, je suis ici parce qu’un jeune commissaire zélé veut faire comme s’il était la seule personne à avoir des contacts haut-placés ici à Yaoundé…Mais bon, de toutes les manières je suis sorti d’ici très bientôt. Ce sera oublié… »

Le commissaire Atangana ne put dissimuler sa surprise.

« Sortir ? Pourquoi ? Le chef du gang va témoigner contre vous. Et il a fait une déposition écrite qui est au palais de justice…

— Oui, un certain Zorro, c’est bien ça ? J’ai appris qu’il est mort à Kondengui. Les conditions d’emprisonnement là-bas sont intenables, je vous dis monsieur le commissaire…Apparemment ses compagnons de cellule l’ont égorgé dans la nuit.  Et quant à sa déposition…On ne la retrouve plus au palais. Il n’y donc pas d’éléments à charge contre moi. C’est mon avocat qu’il me l’a dit… »

L’homme avait un sourire mesquin sur les lèvres. Son visage avait une lueur triomphante même s’il s’évertuait à ne rien laisser transparaître.

« Vous ne vous en tirerez pas comme ça… », jeta Joseph, dépité.

L’autre sourit méchamment.

« Monsieur le commissaire, le Cameroun est un état de droit. Lorsqu’on n’a rien à se reprocher, on est acquitté. Et on reprend ses fonctions.

— Mais, mais…tout le monde sait que vous êtes corrompu…, appuya le commissaire

— Qui est tout le monde ? Dans quelques jours on en parlera plus… »

Un énorme sentiment d’impuissance envahit le commissaire Atangana. Son vis-à-vis, lui, jubilait. Il s’adossa sur son siège et repris après une courte pause :

« Mais je suis heureux de vous voir monsieur le commissaire. Je suis aussi heureux que rien ne vous soit arrivé hier. Les gens sont terribles à Yaoundé maintenant. Peut-être que c’est quelqu’un que vous avez arrêté injustement, comme moi, qui veut se venger ? Il faut faire attention. Peut-être qu’ils connaissent votre épouse Élisabeth ? Ils savent aussi que vos jumeaux Bertrand et Patrice vont désormais à la maternelle de l’école départementale ? …Si j’étais vous, moi je serais prudent. Ce n’est peut-être que la première tentative…

— Êtes-vous entrain de menacer ma famille ? Touchez à un seul de leur cheveu… »

Le commissaire Évouna se leva brusquement, mettant un terme sec à la tirade d’un Joseph Atangana béat. Il se dirigea vers la porte et cogna. Le soldat en faction ouvrit sans mot dire et l’accompagna dans le couloir. Soudain, l’homme se retourna une dernière fois vers le policier.

« Nous allons nous revoir très bientôt monsieur le commissaire. À propos, bonne chance avec le meurtre d’Amita, j’apprends que vous piétinez toujours…qui l’aurait cru ? ».

Par Félix Oum


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Vendredi Polar Saison 1

À propos de l’auteur
Félix Oum

Félix Oum

FÉLIX OUM

Félix Oum est né au Cameroun et a fait ses études en ingénierie à l’université technique de Berlin. Il travaille dans le domaine énergétique à Stuttgart. Il se passionne depuis des années pour le dessin et l’écriture, plus précisément l’écriture de poèmes et le travail à un roman. Très attaché à son Cameroun natal, il décide en Mars 2014 de se lancer dans la rédaction d’une série de nouvelles sur le quotidien des forces de l’ordre face aux réalités africaines avec l’intention affichée de donner ainsi à son pays son premier « Sherlock Holmes ».

 

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